Lise Roussel
Née en 1983
Vit et travaille à Oullins (Rhône)
« La peinture diluée coule, bifurque, hachure l’espace, s’épaissit sur elle-même ou se superpose en transparence sur d’autres couches, les couleurs jouent entre elles, s’harmonisent peu ou prou en une sorte de ballet sombre ou bien vif… La peinture de Lise Roussel semble vivre toute seule, déployer son propre jeu plastique autonome. […]
Une figure célèbre de topologie, le ruban de Möbius, nous aidera peut-être à comprendre comment s’effectuent passage et mouvement dans les peintures de Lise Roussel. Ce fameux ruban ne possède qu’une seule face contrairement au ruban classique qui en présente deux. Tout se passe ici sur une seule et même surface. Il n’y a rien à l’envers des papiers peints ou collés de Lise Roussel : nulle signification précise, nul affect déterminé, nulle représentation affirmée… Ou, pour être encore plus précis : dans le trajet du doigt sur le ruban de Möbius, comme celui du pinceau sur le papier, l’envers prolonge et se confond avec l’avers dans un continuum spatial, dans un basculement insensible, imperceptible.
Cet envers, c’est notamment la projection du « regardeur », son imagination, sa quête vaille que vaille de formes vaguement reconnaissables. C’est aussi la suggestion de l’artiste elle-même, en quelques traits, d’habitations, d’architectures, d’un espace plus ou moins structuré. Et notre regard, alors, ne cesse d’entrer dans des lieux suggérés, de commencer à s’y « loger » de manière imaginaire pour « retomber » très vite dans la matière picturale elle-même : charpente de traits « purs » et murs de couleurs. Derechef, la peinture emmène alors notre regard ailleurs, ouvre un autre espace, et ainsi de suite… […]
Dessin et peinture ouvrent instantanément des lieux, tracent des cheminements, des « paysages picturaux » comme le dit Lise Roussel. Mais l’artiste les fait glisser au-delà, ouvre leur intériorité à un dehors possible, met sous tension un entre-deux : entre paysage proprement pictural et paysage réel ou mental. Elle nous invite à un singulier voyage de plan en plan, de trouée en trouée, de rythme plastique en rythme plastique vers un lieu qui n’a d’autre existence que le mouvement même de la peinture. Nous pensions passer de l’autre côté, mais le ruban de Möbius nous ramène, si ce n’est au point de départ, en tout cas à la matérialité du papier et du tracé. Alors, un tour pour rien ? Une échappée vers l’imaginaire et la projection mentale pour nous retrouver soudain sur la terre ferme de la désillusion ? Lise Roussel tente au contraire, pensons-nous, de réduire le plus possible la part d’imaginaire, de barrer ou brouiller les pistes de la suggestion trop explicite… Elle joue évidemment avec ces éléments de la « ressemblance », elle les convoque même pour en interroger la résistance, en faire éclater les réflexes visuels qui leur sont attachés depuis des siècles de représentation et de perspective normatifs. »
Extrait de Passages, par Jean-Emmanuel Denave
Publié dans le catalogue monographique Panorama, auto-édité avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Métropole de Lyon, 2015