Slimane Raïs
Dossier mis à jour — 08/09/2016

Textes

Entretien avec l'artiste

Par Audrey Mascina, extrait de In the arab word... Now de Jérôme Sens, Éditions Enrico Navarra, 2008

Slimane Raïs n'aime pas que l'on dise qu'il fait de l'esthétique relationnelle

Par Arnaud Stinès, directeur de l'espace d'art contemporain Rurart
In Le jardin des délices, Éditions Rurart, 2006

Les espaces polyglottes de Slimane Raïs

Par Daphné Le Sergent, extrait de www.lacritique.org, 2006

Slimane Raïs, Une éthique relationnelle

Par Alain Livache, 2004

Slimane Raïs, d'interventions en interventions et de lieux en lieux tisse un parcours singulier et passionnant. Il n'intervient pas sur la matière et l'espace, la représentation picturale ou photographique. A travers des interventions mettant en jeu une rencontre, des échanges de paroles, d'objets personnels, d'histoires, de secrets, il expérimente, à partir de ce qui constitue la part la plus individuelle de chacun de nous, un nouveau lien social.

Pour délimiter sa démarche, la référence à l'esthétique relationnelle, à laquelle on attache fréquemment son travail, ne peut suffire. Pareillement, le socle conceptuel que l'artiste propose lui-même depuis 1994 et qu'il résume par le PPCM (le plus petit commun multiple) ne peut lui aussi tout à fait circonscrire une oeuvre, qui, si elle a l'élégance de proposer une grande lisibilité formelle, possède une belle complexité de sens et de lectures.

Slimane Raïs crée donc des rencontres. Accueilli dans un lieu, dans un contexte, il y développe un moyen (toujours différent) d'entrer en relation, à partir d'un petit rien commun, susceptible de polariser l'échange. ll n'y a pas pour autant d'exploitation plastique de l'échange créé. Ainsi, l'oeuvre n'est pas une conséquence de la relation engagée. L'oeuvre est cette relation, la relation est l'oeuvre. Le spectateur n'accède, lui, qu'à certains fragments de l'oeuvre.
Car ce qui différencie le travail de Slimane d'une action artistique de révélation sociale, voire même sociologique, c'est sa délicate implication personnelle dans l'oeuvre. Certes il n'y a pas de pathos ou d'exposition autobiographique, mais Il n'y a pas non plus de distanciation froide et complètement neutre. Il crée la situation et assume d'en être de façon forcément subjective et sensible l'un des deux acteurs. Enfin, comment croire que certains thèmes de travail qui visent à permettre la rencontre ne résonnent pas d'une façon particulière dans la vie de S. Raïs ? Au fil des rencontres et des interventions et entre les lignes, c'est donc aussi un portrait impressionniste de l'artiste qui se dessine.
C'est à travers cet aspect là notamment que l'oeuvre échappe sans ambiguïté au risque ethnologique, sociologique et socioculturel qui guette quelquefois ce type de démarches. Par son implication poétique, l'artiste, en l'occurrence, ne devient pas une excroissance de travailleur social que des responsables politiques et culturels embaucheraient en dernier recours, dans l'échec qu'ils sont souvent de restaurer le fameux lien social. Le rapport qu'entretient Slimane Raïs avec l'espace public et le champ social existe bel et bien. Néanmoins Slimane s'y inscrit avec beaucoup de clarté : Par défaut, l'originalité de sa démarche peut se faire en indiquant ce que n'est pas son travail : Pas d'analyse d'un contexte : il ne porte pas un regard de décrypteur, il montre.
Pas de médiation : Il ne facilite pas les rencontres entre groupes sociaux. Il présente un simple échantillon. Pas d'essai de résolution d'une problématique. Il ne propose pas d'issue ou d'idéologie. Il laisse à chacun si besoin ce choix. Pas d'édification d'un sens commun. Il ne construit pas un discours rassembleur. Il structure sans mettre en ordre. Pas d'animation ou de réparation d'un lien social. S'il donne la parole, il n'induit pas de stratégies. Et enfin, pas d'évangélisation fusse-t-elle laïque. il ne désigne pas un bien, un mal ou la bonne position à adopter. C'est la réalité et son double qu'il donne à voir et à entendre.
Ce n'est donc pas directement un souci politique et social qui guide Slimane : C'est, on l'a dit, l'accumulation de paroles individuelles d'ordre intimes (donc poétiques) qui transporte le travail vers le champ public et non pas l'exposition de témoignages structurée par un discours. Les sujets de Slimane sont axés sur la part émotionnelle et secrète de chacun... Ainsi, quand bien même Slimane s'adresse à des groupes cernables socialement, il engage cependant avec eux systématiquement une relation individuelle. Il s'agit de mettre à jour la part énigmatique de chacun sans solution interprétative.
Parmi les qualités constitutives des oeuvres de Slimane Raïs on trouve bien sûr la maîtrise des éléments formels et plastiques qu'il choisit pour rendre compte ou accompagner la relation : Vidéo, installation, performance, dessin, téléphone, écrits... Mais avant tout peut-être, on trouve l'exigence, l'authenticité et la qualité de la rencontre. Une certaine éthique relationnelle. On l'a souligné, la dialectique qu'il provoque entre l'espace privé et public ne se fait jamais au détriment de la préservation de l'intégrité privée de l'Autre.
Car esthétique relationnelle ne rime pas toujours avec éthique relationnelle. Et lorsque par exemple Slimane Raïs intègre dans un travail des détenus de prison (Les cabines de séduction - Lyon, 2000), il n'exploite pas un quelconque filon médiatique bien-pensant. Lorsque par exemple encore il troque des histoires intimes de passants (En faire une histoire - Annecy, 1995), il ne met pas le spectateur en situation de voyeur. Le secret restera inviolable. Là d'ailleurs se situe le paradoxe de la diffusion de l'Oeuvre de Slimane Raïs : Pour se donner à voir l'oeuvre doit montrer ce qui devrait être préservé d'une approche trop publique. Pour résoudre ce dilemme, toute stratégie communicationnelle est écartée et l'artiste se contraint à naviguer sur la corde raide du montrer/ne pas montrer.
C'est en particulier pour cela que S. Raïs engage avec patience et posément son chemin (d'autre diraient sa carrière). La solidité de l'architecture générale de son travail en dépend.

Le recul devient suffisant pour mettre en perspective les différents processus menés par S. Raïs depuis 1994. On découvre alors qu'une Oeuvre parmi les plus cohérentes est en train de se construire : Des troquets-troqués du quartier Berriat de Grenoble, en passant par les pour parlers d'Annecy, les portraits robots du quartier de l'abbaye, les calendriers intimes d'Yvry sur seine, les pastilles de Dortmund et les cabines de séduction de Lyon, (entre autres interventions !), on constate que ces situations révèlent et activent la synergie qui doit pouvoir exister entre le roman personnel de l'individu et le roman collectif d'une communauté.
L'art de Slimane Raïs est bien un art qui s'inscrit dans le champ social. Il détient même un caractère politique subtil, par le maillage social qu'il induit face au morcellement social qui s'accroît. Ce qui est étonnant, c'est qu'il y parvient sans agiter les problématiques collectives habituelles. Il y parvient en parlant... d'amour, de chagrin, de rêve, de peur, d'émotion, de secret, d'intimité, bref, de ce qui constitue le tremblement le plus diffus d'une vie.

C'est comme cela que les gens de Slimane s'infiltrent avec délicatesse dans notre mémoire collective, par les tremblements diffus et partagés de nos vies.