Textes
STATEMENT
Par Guillaume Robert, 2020
STATEMENT
Par Guillaume Robert, 2020
DANS LE MEILLEUR DES CAS
Agrégat d'un entretien donné à l'occasion de l'exposition Piano alto (Maison des arts Georges Pompidou, Cajarc, 2015)
et d'une contribution à l'Éphéméra la pelote et la trame (édition ESACM, Coopérative de recherche, 2015)
DANS LE MEILLEUR DES CAS
Agrégat d'un entretien donné à l'occasion de l'exposition Piano alto (Maison des arts Georges Pompidou, Cajarc, 2015)
et d'une contribution à l'Éphéméra la pelote et la trame (édition ESACM, Coopérative de recherche, 2015)
AVEC PAR ORDRE D'APPARITION
Par Guillaume Robert
In Expedition, European platform for artistic exchange, Les Laboratoires d'Aubervilliers, 2009
AVEC PAR ORDRE D'APPARITION
Par Guillaume Robert
In Expedition, European platform for artistic exchange, Les Laboratoires d'Aubervilliers, 2009
Bref je travaille avec du patrimoine. Le patrimoine nous a été légué, il est notre maison commune. Cette maison nous habite, elle nous constitue. Cette maison est fondée sur des archétypes, sur les modèles primitifs de ce qui vient faire image, paysage, fiction, texte, objet, musique, politique..., sur les modèles primitifs de ce qui vient faire représentation, de ce qui vient nous mettre à distance de la présence en nous mettant au monde. C'est une maison sans fin, ni finalité. Du bâti en tout sens. Les pièces s'y succèdent, s'y enchevêtrent, une prolongeant l'autre, une écroulant l'autre, une croissant au sein de l'autre, ou poussant depuis les murs, et d'autres à l'abandon. Des petits systèmes de connaissances, poreux ou imperméables les uns aux autres, simultanés ou se succédant dans l'Histoire. Des pièces indéfiniment gigognes, nous y demeurons, nous y prenons langage, nous y fonctionnons. Nous élisons une pièce, quelques pièces, nous les squattons, nous les transformons, nous les bâtissons ; elles nous font. Nous élisons une des façons de jeter, à même le chaos, un filet d'ordre, une des façons de cosmos.
Et faute de plans encyclopédiques, et faute de pouvoir déplier la maison, faute d'un travelling passe-muraille, au moins percer quelques fenêtres, quelques yeux de bœuf pour s'inventer, même hâché, même déformé, même hasardeux, un panorama du divers en guise de visite. Car depuis ce panorama discontinu, depuis le plusieurs simultané, hétérogène, désarticulé, peuvent naître l'ambiguité et la perplexité et le désarroi. Et depuis l'ambiguité et la perplexité et le désarroi peut naître le vertige : le vertige fidèle à l'indéfini du "quelque chose" : le vertige de l'étonnement, de la stupeur : le vertige qui fait se fissurer les murs : le vertige qui travaille à désencombrer la présence de l'enchevêtrement de signifiants qui la sature.
La continuité est le propre du panorama. Alors percer des fenêtres, accumuler du divers, arracher des fragments au patrimoine ne suffit pas, encore il reste à les saisir, sans pour autant réduire leur hétérogénéité, en un seul mouvement. Leur inventer un nouveau territoire d'expression, un territoire qui œuvre à exposer les fragments arrachés en un seul et même plan. Un territoire qui, bien qu'il leur soit étranger, bien qu'il les force à la décontextualisation, bien qu'il leur soit exogène, n'a pourtant d'autre objet que leur coexistence : lui-même ne se constituant qu'à partir d'eux, ne surgissant que depuis leur agglomérat. Ce territoire peut prendre la forme d'une vidéo, d'une installation, d'un spectacle. De l'image, des corps, du langage, de l'espace, du temps offrent à ce qui a été prélevé une recomposition, dessinant des narrations molles, ouvertes, elles-même portées par ce à quoi sont réduits les fragments utilisés : des impressions de déjà-vu, des amorces de signes jouant entre eux, luttant entre eux, se juxtaposant, exposant ce qui les joint et ce qui les disjoint, ce qui les distingue et ce qui les confond. On ne garde alors contact qu'avec quelques lambeaux des habits du monde. Les fragments s'obscurcissent, mis hors de portée de leur contexte. Ils se proposent à un éclairage nouveau, intrinsèque, ne renvoyant plus qu'à eux-même. L'image ne prétend plus représenter du réel mais se présente en tant qu'image (pas une parodie d'image, mais une image qui, le plus souvent, sans même n'avoir recourt à autre chose qu'au réel, ne se soumet pas aux effets de réel mais laisse transpirer son artificialité, ça sent le plastique, le playmobil).
La poésie ne prétend plus poétiser le monde, ou le langage, mais s'indique comme de la poésie (d'où un usage de la poésie satirique (elle rit en jouant ces effets de poésie) ou de textes antiques (ils réfèrent à des imaginaires, des systèmes de représentations suffisamment révolus ou exotiques pour que l'on y goûte sans croire)). La pensée même ne donne plus à penser mais s'expose en tant que pensée, frontale, distante, étrangère (d'où un usage de pensées abjectes (historiques), ou spécialisées (scientifiques, philosophiques) ou de pensées parodiques (quand des savants fictionnels pensent, philosophent dans la littérature)).
La clarté de la reconnaissance faillit au profit d'un rapport trouble, perceptifs aux matériaux premiers. Ces matériaux, en perdant de leur force signifiante, se métamorphosent en stimuli. Le sens échappe, de l'épidermique peut prendre la place.
En déployant ces opérations, ces stratégies dans le dispositif théâtral (et bien que cela demeure impossible sous l'œil d'une caméra, la médiation y est concrète, elle s'objective), il est possible de donner pour tâche à un spectacle de déshabiller la représentation. Le dispositif théâtral travaille ontologiquement à même la présence, et qu'il soit recouvert, encombré de charges symboliques, qu'il soit a priori une des modalités de la représentation, n'empêche pas de le déshabiller, sa médiation n'est pas physique mais symbolique. Pour autant il serait trop naïf de déshabiller le théâtre par décret, décréter qu'il n'y a pas de symbole, ou décréter que ce qui est à voir n'est que ce qui se présente. Ce serait négliger la puissance du dispositif théâtral à convoquer a priori le régime de la représentation et de la métaphore et du sens. Un tel usage direct, forcé, volontariste du spectacle ne proposerait qu'une mise en abîme sans fin de la représentation. C'est au contraire en jouant à partir de la représentation elle-même, et de ces codes, qu'il est possible d'accompagner le spectateur vers un état combiné de perplexité, de torpeur et d'excessive attention. Un état qui invite au lâcher-prise, à l'ouverture radicale à la présence, la présence dépouillée de tout apparat, immanente, où seule subsiste la stupeur simple d'un contact à l'apparaissant.