Fabienne Ballandras
Dossier mis à jour — 26/06/2018

Textes

Comment vit l'autre moitié

Par Françoise Lonardoni
Extrait du catalogue de l'exposition Une chambre à soi, Le Polaris, Corbas, 2011

[...] Fabienne Ballandras traite en photographie de grands sujets sociaux mais ses images ne peuvent fonctionner comme des pièces à conviction. En créant des maquettes qui copient des images, (de presse, de sites d'information...) qu'elle photographie ensuite, elle encombre notre vision d'un déni du mimétisme. Ces maquettes photographiées transmettent un essentiel (au sens imparfait, parcellaire) qui peut être une métaphore de l'information rapide, frappante, dématérialisée. Mais elles ont nécessité, on le décèle, la lente et foisonnante imagination du bricolage : les usines occupées sont évoquées dans des vues où flottent des slogans connus, sur des banderoles que l'on devine être de papier. Les villes bombardées, dans une monochromie atone, trahissent le plâtre et le carton, et pourtant, transmettent une forme de déréliction.

La série récente des Cellules a orienté le travail du côté de la phénoménologie par son rapport direct au corps : réalisées à partir de questionnaires transmis à des prisonniers incarcérés à Stammheim (Allemagne) les maquettes ont été construites sur cette contradiction : traduire en mots un espace, celui de leur enfermement, à peine assez grand pour que le corps s'y sente vivre.

Formuler cet espace - le coder, comme l'ordinateur numérise - pour qu'une conscience attentive le décode et le dévoile par l'image : le dispositif porte la représentation à son apogée, pas seulement parce que Fabienne Ballandras opère un passage de la cartographie à la topologie, mais parce qu'elle a indexé la représentation à une forme de communication. Elle a obligé chaque acteur à rechercher une communauté de vision possible, avec le corps pour étalon, en mesures, plans, schémas, au cœur de la contrainte organisée.

Le travail de Fabienne Ballandras met au jour le potentiel de l'image à être générique de toute image, et met à distance la photographie là où elle pourrait détourner le sujet vers la compassion ou l'identification. 1
On ne peut cependant en évacuer la préoccupation sociale, par le choix des sujets à « présenter ». Comme si ces photographies - et aussi les dernières productions, tirées des affrontements pendant les manifestations de novembre 2010 à Lyon – désignaient par une heuristique rudimentaire et efficace une « autre moitié » et qu'elle tente de vivre: How the other half lives 2, ce livre pionnier de l'impression photographique, dénonçant la pauvreté à New York en 1890, semble criant d'actualité.

  • — 1.

    Voir Susan Sontag : Devant la douleur des autres, éd. Christian Bourgois, 2003

  • — 2.

    Jacob Riis, How the other half lives, New York - 1890

Biographie de l'auteur⋅e

Actuellement en poste au Musée d’art contemporain de Lyon comme responsable du service culturel, Françoise Lonardoni est commissaire de la Galerie universitaire Domus (Université Lyon1) consacrée à la photographie contemporaine ; elle enseigne la théorie dans l’école d’art E-art campus à Hangzhou (Chine) après avoir enseigné dans plusieurs universités à Lyon.
Elle a auparavant dirigé l’Artothèque de Lyon et l’Espace arts plastiques de Vénissieux.

Membre d’AICA France, elle publie régulièrement des textes critiques monographiques ou traitant de domaines esthétiques : photographie contemporaine, livre d’artiste, ou transdisciplinaires : recherche-création, nouvelles médiations, formes participatives de l’art contemporain.

Françoise Lonardoni est membre des associations régionales URDLA et Documents d’artistes Auvergne-Rhône-Alpes ; elle fait partie du comité scientifique du projet de Galerie des enfants pour la Réunion des Musées Nationaux Grand-Palais - Cité des Sciences de la Villette.

La "marchandise imaginaire"

Par Anne Giffon-Selle
In Fabienne Ballandras, catalogue réalisé dans le cadre d'une collaboration de l'artiste avec la SEPR, Lyon, 2006