A.Stella
Updated — 03/10/2023

ICI ET AILLEURS MAINTENANT

ICI ET AILLEURS MAINTENANT
A.Stella, 2002

La constitution d'une œuvre originale implique l'exclusivité de sa présence physique dans un seul lieu, « Ici et maintenant ».

Dans mon travail, la réalité spécifique de l'œuvre « peinture » introduit un fonctionnement qui dissout la notion d'exclusivité, mettant en situation de réciprocité et de simultanéité deux  topographies : « ici et ailleurs maintenant ».

Cette mécanique n'est pas un simple dispositif d'exposition. Elle est à l'origine du processus d'élaboration et matérialité de ce travail ; elle en conduit toutes les étapes, du stade des maquettes d'études, puis de celui des matrices, jusqu'à la dernière étape de concrétisation de deux peintures complémentaires.

L'unité se déploie en deux surfaces de dimensions identiques, 160/120 cm. Elle réunit l'œuvre et sa matrice. Deux peintures, chacune constituée par le procédé plein/vide, inversé de l'autre. Chaque peinture contient l'objet réel et l'objet mental, le physiquement présent constitué par l'absence de l'autre. Leur imbrication restitue toujours une surface pleine. Face à cette « indissociabilité » du plein/vide, l'observateur reconnaît ce mécanisme et en déduit la peinture complémentaire, physiquement absente et exposée en un autre lieu.
Chaque unité de deux complémentaires détient le processus entier.

L'œuvre est l'objet d'interactions entre les deux complémentaires.
L'exposition est l'espace d'interactions entre les deux lieux.

Reconsidérer l'espace peinture par et dans sa constitution matérielle/structurelle.

J'utilise les composantes « classiques » de la peinture (support, toile sur châssis et matériau, peinture à l'huile) non pas dans une approche « nostalgique » mais dans la décision d'agir dans ce cadre bien défini et de préciser comment et dans quelles conditions l'espace peinture peut être prépondérant. Ce travail, basé sur la réalisation de l'œuvre physique, est la mise à plat de tous ses éléments constitutifs (constantes, solutions, limites.)
Le matériau peinture pose ses limites et valide la spécificité de cette œuvre construite.

Constantes :
Dimensions
Construction
Processus d'élaboration
Processus de matérialité

Dimensions : 160/120 cm. Elles sont définies par les conditions de matérialité et l'échelle physique de la personne qui matérialise l'œuvre. Toutes les actions et mouvements engagés dans cette entreprise correspondent à cette échelle verticale, à ce « face à face » où l'amplitude et sa limite inscrivent leur mesure.

Construction : La construction interne de chaque peinture s'organise toujours par analogie à cette mesure constante externe et sur la même base géométrique, orthogonale/oblique, appliquée sur la découpe et la structure de la surface.

Processus d'élaboration
Maquettes :
2 surfaces de papier quadrillé – 16/12 cm
1 surface d'adhésif transparent – 16/12 cm

À l'échelle 1/10 de la peinture, la maquette permet le travail de recherche tout en gardant un rapport réel avec l'articulation physique du plein/vide que l'on retrouve dans l'élaboration des matrices et des peintures.

Matrices :
2 toiles sur châssis – 160/120 cm
1 surface d'adhésif -  160/120 cm

Sur une toile j'applique la surface adhésive. Selon la construction, j'incise dans l'épaisseur de la surface adhésive des bandes. Je les décolle, une sur deux, et les reporte sur l'autre toile, à l'emplacement correspondant d'où elles sont retirées. Par le même geste deux opérations se font : celle qui vide d'un côté et celle qui remplit de l'autre. Sur l'une, la bande creuse recevra le matériau peinture, sur l'autre, la bande pleine le mettra en réserve. Et par la suite, la présence d'un élément en relief sur l'une des peintures renverra à l'absence du même élément en creux sur l'autre peinture.

Processus de matérialité
Peintures :
2 matrices complémentaires sur deux toiles.
Matériau – peinture à l'huile (pigment blanc).

Les deux toiles reçoivent le même nombre de couches de peinture appliquées sur toute la surface avec un temps de séchage entre elles. Par la succession des couches, la grille s'obstrue, gagne de l'épaisseur. Sa complète disparition crée une surface plane où les strates  de peinture continuent à se superposer. L'étape suivante consiste à retirer définitivement la grille adhésive disparue sous l'épaisseur du matériau afin de faire apparaître l'objet peinture.
De toutes ces opérations résultent deux peintures complémentaires, qui se trouvent dans la même mécanique et inversée de celle de leur matrice.

L'acte et le matériau à peindre se déplacent en acte et matériau à construire. L'espace pictural se déplace en espace concret.
Note : En dernière étape, les deux peintures subissent un recouvrement total en peinture à l'huile fluide, opération qui termine l'œuvre par l'action « peindre la peinture ».


© Adagp, Paris