La perte du monde (extrait)
La perte du monde (extrait)
Par Nicolas Garait, 2007
Publié dans le catalogue de l'exposition Les enfants du Sabbat 8, 2007
Collection Mes pas à faire, Le Creux de l'enfer, Thiers
Aurélie Pétrel présente deux séries qui oscillent entre la construction méthodique et le reportage pris sur le vif pour atteindre le point d'équilibre entre l'instant saisi et la réflexion initiée par le sujet photographié. Dans Made in China, composée de douze images, Aurélie Pétrel se situe dans un type documentaire très construit, cherchant à révéler à travers l'architecture d'usines chinoises la pose de corps assujettis à des normes sociales qui vont jusqu'à l'absurde. Pour pouvoir composer ses images avec rigueur, lenteur et précision, l'artiste s'est infiltrée dans un groupe d'investisseurs européens factices, ce subterfuge lui permettant de dépasser la question documentaire au profit d'une charge émotionnelle latente. Made in China est un travail méthodique, axé aussi bien sur la position des images les unes aux autres que sur les espaces architecturaux représentés, dont les grandes fenêtres rappellent d'ailleurs celles du Creux de l'Enfer. Aurélie Pétrel parvient à saisir certains détails significatifs - un aigle à proximité du patron au téléphone, le profil d'une ouvrière concentrée sur son travail, les espaces en devenir d'une usine à peine installée - qui dévoilent la perte d'un monde ancien confronté à une industrialisation galopante.
À l'inverse, les trois photographies grand format [Shamian Dao, 3Gorges et Gilet pare-balle] ont été prises sur le vif d'une situation donnée, ballet chorégraphique impliquant tout autant l'essayage d'un gilet pare-balle que le barrage des Trois Gorges, ouvrage dantesque destiné à fournir près de 10% de l'électricité chinoise et qui aura nécessité l'évacuation de plus d'un million d'habitants. La troisième image est le fruit d'un bel accident : au moment de la prise de vue, l'appareil se bloque et détruit du même coup la totalité de la pellicule - à l'exception d'une vue, dont les brûlures ruinent du même coup l'imagerie un peu facile et très occidentale d'un vieux chinois impassible sur son vélo. Des images très cinématographiques qui figent littéralement l'instant d'un monde en plein bouleversement.