Awena Cozannet
Updated — 27/02/2025

Texte de Lucie Cabanes

Ce qui nous rassemble
Par Lucie Cabanes, Carnets de la création, Musées d’Annecy, Les éditions de l'Œil, 2020

Terre, branchages, toison teinte, corde, soie, feuilles de bambou, palmier, pierre de rivière, coton smocké, poussière de goudron, filet de pêche, cuivre, câbles, papier, perles d’argent, cuir, lames de métal, corail, nacre, fragments de béton, sangles de portage, fer à béton… L’inventaire des matériaux présents dans l’œuvre d’Awena Cozannet est long. Il témoigne d’une cartographie complexe et humaine, des lieux où elle a travaillé et habité. Devenant par la couture, l’assemblage et le nœud, des sculptures, elles évoquent tantôt un nid, un cocon, un organisme mouvant, une excroissance vivante, tantôt une parure, un sac, un habitat précaire, ou encore une ligne d’horizon, une ligne de flottaison, un bord du monde. Ces formes dans l’espace sont autant de métaphore frontière, d’identité géographique, de possibilité de s’implanter là, sur ce lieu, à même le sol brut de bitume ou de béton, ou de s’y déplacer avec plus ou moins d’aisance, de bagages lourds, de charges à porter et à traîner derrière soi.

Le démantèlement, la traque, le piège, la flottaison, la marche nomment ses sculptures. Parlant de la difficulté d’être dans ce monde, de la nécessité du déplacement, de la fuite, d’une violence en sourdine entrelacée dans la douceur apparente et colorée des fibres assemblées, cousues, nouées, elles invitent à y glisser le bras, le creux de la tête ou le corps tout entier. Après des résidences notamment au Bangladesh, en Chine, au Pakistan ou encore en Normandie, Awena Cozannet a investi la ville d’Annecy et son Palais de l’île, monument complexe aux strates d’histoires et d’occupations chargées, le lieu tantôt frappant la monnaie, tantôt enfermant les prisonniers. Pour cette résidence, l’artiste y développe des thèmes qui lui sont chers : paysage traversé, déplacement du corps, mouvement des populations. Cinq montagnes de sangles de couleurs verts d’eau, bleu mouillé, blanc sale et gris givré, se dressent. L’installation appelle au corps dans le creux laissé à la vue. Modules montés sur de fines tiges, le vide, arrondi en son centre comme un lac en absence, révèle la minéralité du monument et le corps du spectateur en accueil. La montagne, frontière naturelle et politique, est le témoin silencieux des migrations et trop souvent le tombeau d’anonymes arrêtés, bloqués en pleine traversée. Plutôt que la division et l’opposition, qui nous amènent à nier ces personnes et leurs parcours, Ce qui nous rassemble propose de réfléchir à notre histoire commune, à ce qui nous lie et nous structure en suscitant notre implication. Faire œuvre pour faire corps, passer de spectateur à acteur, ce glissement conscient permet de renouer avec une réalité glaçante, pour abattre la carte de nos frontières géographiques et personnelles.

© Adagp, Paris