La Seat Ibiza jacuzzi
La Seat Ibiza jacuzzi, exemple de bovarysme automobile
Par Paul de Sorbier, 2014
Au moment où est écrit ce texte, la Seat Ibiza jacuzzi a beaucoup voyagé, en particulier vers la ville et ses grands magasins. Non elle ne roule plus, elle n'est pas un objet magique et se déplace en camion plateau. Elle provient d'une ferme, elle est populaire mais rêve d'ascension sociale. Elle est une voiture boursière et certainement pas héritière pour reprendre la terminologie de Pierre Bourdieu, natif de Denguin dans le Béarn rural.
Lorsque Benedetto Bufalino opéra les repérages chez Maïté Solanille, qui allait l'accueillir en résidence, il dénicha très vite une voiture destinée à la casse. Motif emblématique de son vocabulaire, cette voiture ne pouvait que le séduire. Comme il aime procéder, c'est dans le calme de son atelier que le projet trouva sa véritable destination, par une prise de recul et la réalisation de simulations numériques. C'est finalement le modèle de la voiture, sa sémantique, qui déclencha la mise en œuvre de la forme retenue. Au travers du terme de « Seat Ibiza » se percutent des fantasmes de fêtes, de sables, de spring break mais, le tout, peut-être de façon « cheap », « low co(a)st ». L'entreprise de détournement peut dès lors s'activer, la relation forme-fonction se déplacer : le véhicule de la ferme devient un jacuzzi situé dans le domaine artistique et qui s'offre, dorénavant, au regard et à l'expérience. L'artiste fait toujours en sorte que ses productions soient vécues et activées par le passant.
Une forme de fiction est certainement à l'œuvre en arrière champ de l'œuvre de Benedetto Bufalino, qui n'est certainement pas à regarder pour ses bulles et pour (le peu qu'il reste de) l'éclat de sa carrosserie. Une personne lambda, débrouillarde, désire un jacuzzi à domicile. Elle a une voiture dans la grange, c'est parfait. Elle lui découpe alors toute la partie supérieure à l'aide d'une meuleuse. Après avoir supprimé une partie des éléments composant son intérieur et installé des banquettes en contreplaqué, elle recouvre le tout de résine et de peinture bleue, qui « fait » piscine. Enfin, comment produire des bulles ? Mais oui, en utilisant le compresseur qui gonflait les roues de la Seat lorsqu'elle roulait encore. Hop, la personne attrape la bassine de la vidange, le marchepied de la cuisine car les placards y sont trop hauts : tout est prêt pour la baignade.
Le tout aurait pu être « auto-filmé » et atterrir sur youtube à la manière de ces vidéos maladroites, tutoriels de l'inutile. Mais il est évident que Benedetto Bufalino a beaucoup de respect pour ce personnage en célébrant la fière débrouillardise manuelle du DIY, en interrogeant certainement aussi le modèle économique et consumériste dominant. Cette voiture jacuzzi a effectivement connu des frais de production très modestes, voire nuls du point de vue du personnage, le double de fiction de l'artiste.
Et les insectes dans tout ça ? La surface de l'eau étant agitée par les bulles du compresseur, il est impossible de parler de piège à bestioles. Ah, mais le public y était attiré comme des... Non, ce n'est pas vraiment chic. Plus sérieusement, Benedetto Bufalino est exactement un artiste qui va prendre possession d'un environnement, d'un écosystème, bien souvent à l'écart des centres d'arts et au cœur de la vie. Il s'introduit, observe, tire parti de situations ou d'objets pour mieux les dominer. Bref, d'une certaine façon, son art a trait à une sorte de darwinisme de la forme et/ou du sens. Par-là, il rencontre l'un des aspects possible de la problématique qui ceinture le règne des insectes...
Nous identifions chaque jour des situations d'artistes — pour ne pas écrire des « espèces » d'artistes — un peu en marge du système de l'art. Mais ces marges ont le mérite, non pas de rompre des lignes ou de juxtaposer des présences, mais plutôt d'étendre des territoires. C'est ainsi que Benedetto Bufalino est bien un artiste jouissif du commun de l'art. Au risque de lui déplaire !