Caissières
Par Gilles Verneret
En 2009, je passe quelques semaines au Monoprix de la Croix-Rousse pour y effectuer une sorte de reportage ou présenté comme tel au directeur qui avait accepté ma requête dans ma série Le monde tel qu'il est.
Au début les caissières sont méfiantes, puis s'habituent à ma présence, d'autant que je suis aussi client depuis des années. J'observe alors scrupuleusement le ballet que font leurs mains autour des caisses. Mains qui malgré le "poids" (...) distillent une certaine beauté que je fige. Sept ans après, les caissières me demandent parfois si l'exposition aura lieu ?
Mais le résultat qui avait pour projet d'être montré dans le magasin, sur des cimaises accrochées au plafond, n'a pas convaincu la direction et ne verra sans doute jamais le jour.
"Si vous êtes caissière, vous le savez déjà qu'à chaque journée de travail, vous portez, poussez, tirez, soulevez de sacrées quantités d'objets et d'articles hétéroclites. Vous savez que lorsque le crépuscule pointe le bout de sa nuit, vous avez tenu au bout de vos bras plusieurs tonnes.
Si vous êtes client, vous voyez bien lorsque vous sortez du magasin avec tous vos sacs de courses sous le bras (sacs toujours trop lourds) jusqu'à votre coffre de voiture, puis à votre domicile, qu'ils dépassent allègrement plusieurs kilos, voire plusieurs dizaines !
Pour remettre un chiffre que j'ai déjà évoqué et d'après mes propres estimations faites lorsque je travaillais en caisse (ce sont donc mes chiffres calculés en faisant une moyenne de ce que je soulevais en caisse par heure). En caisse, on soulève près d'une tonne d'articles PAR HEURE (dès que le rythme de travail s'accélère un tant soit peu).
Ecrit noir sur blanc, annoncé pourtant clairement dans les médias, j'ai remarqué que très souvent, les gens déforment et transforment ce chiffre en une tonne par jour. Comme s'il était difficile au cerveau humain d'accepter cette réalité.
Alors, ne nous étonnons pas si les corps de bien des employés s'usent au bout de quelques années, ne soyons pas surpris de voir des grimaces visibles lorsque pour la centième fois depuis le matin, l'employée doit pousser un pack de 10 kg et qu'elle tire sur son épaule qui se fait ressentir à chaque geste un peu trop violent.
Ce constat, il n'est pas que pour les employés de caisse, loin de là. Dans tout métier manuel, tout métier répétitif, exercé depuis des années, on arrive à un constat similaire : le corps s'use à force de répéter les mêmes gestes inlassablement" 1. Anna Sam, Caissière.