Street photography : approche de rue
Par Gilles Verneret
Préserver l'impression de réalité brute, prise sur le vif. Le flot ininterrompu de la ville et du passage des passants. Les passants hommes et femmes en mouvement ou arrêtés comme les statuettes de Giacometti. La ville est un foisonnement de lignes, vecteurs, passes colorées, personnages en mouvements, bâtiments, vitrages, vitrines et reflets. Un véritable studio pour l'amateur de "Street photography". Le sujet de la "Street photography" est en fait le plus sûrement la "Street photography", d'où sa constante actualité et modernité ; car que se passe t-il vraiment et pour toujours, réactualisant le présent dans nos rues ?
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On se fait la main dans la rue : l'œil, on dresse l'œil au regard.
C'est l'école la plus exigeante pour l'étudiant. Apprendre à regarder, quoi ? : La photographie. Se voir en train de photographier. Comprendre sa pratique. Ce que l'on voit : des anecdotes, principalement des gens en train de marcher dans un décor architectural donné, car les rues sont des passages, qu'empruntent piétons et automobiles. Silhouettes animées qui défilent devant les motifs du bâti : l'architecture et la texture de fond ; la tonalité générale qui donne le relief et les perspectives à l'image. Mais dans un second temps, vient l'analyse de tous les éléments qui nous permettent de contextualiser l'image sur le plan historique : affichage, costumes des passants, marques des automobiles, etc. Et pour finir le projet de l'auteur qui nous délivre un discours en mettant l'accent sur tel ou tel aspect de l'urbanité.
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En ce sens on peut comprendre pourquoi Winnogrand est plus moderne que Cartier Bresson, il se détourne de l'anecdote, ce qui compte c'est l'acte de "Street photography " en lui-même. Pas d'instant décisif car alors on serait contraint d'en fixer tous les événements auto-produits minute après minute, voire toutes les secondes.
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C'est plutôt l'instant indéfini, en suspens, indécis ou anodin mais se refermant sur lui-même. La recherche des micros gestes dans le théâtre contemporain des rues, les gens de dos anonymes, que l'on ne croise plus du regard, le droit à l'image perturbant l'opérateur, qui n'ose plus approcher ses sujets de face. L'image de rue souvent associée à une photographie volée.
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Philip Lorca di Corcia renouvelle la pratique de la "street photography" en important son studio de prises de vues au sein de la rue. Son "Two hours" réinvente le genre en lui ouvrant de nouvelles pistes. L'instant qui se dilate et devient "heure". Ce n'est plus l'opérateur qui se déplace comme un prédateur, mais le sujet qui vient à lui physiquement, posté aux aguets, attendant ses proies visuelles, en observant patiemment ce qui se passe, ce qui a passé dans le champ...
Essence de la "Street"
Aux frontières de la "Street" : la "Road Movie" qui flirte parfois avec elle, car l'on traverse aussi des villes à la manière de Stephen Shore ou de William Eggleston.
Quelle serait l'essence de la "street photography" ?
Pas d'essence, c'est dans sa matérialisation qu'elle se définit. Comme le patronyme usuel l'indique, on peut prétendre sans risque qu'elle est l'apanage des photographes américains, chez eux la vie dans le cadre urbain est déterminant, historiquement et sociologiquement.
"American photographs" ; "Les Américains" : deux livres cultes, sans oublier les images de Bérénice Abott sur New York.
Si la "street" n'a pas d'essence, elle possède des tendances. Elle n'est pas reportage, ne cherche pas à rendre compte de réalités sociologiques, ethnologiques ou urbanistiques. Son sujet est la rue. Elle est le livre d'entrée en photographie, car elle permet l'identification de style et de regard, plus facilement que le genre "paysage" par exemple. Elle est majoritairement le fruit de l'instantané, mais on peut la pratiquer à la chambre grand format comme Atget (l'ancêtre fondateur) ou Lorca di Corcia.
Elle se présente pour ce qu'elle est : "document anonyme de rue", ayant l'ambition de traverser le temps en même temps que la rue... On ne s'arrête pas dans la rue ou très peu, aux terrasses des cafés, on flâne, on travaille, on déplace, se déplace, on avance, disparaît, s'arrête, on rencontre, on dévisage, on parle, on portabilise désormais, on s'ennuie, on dort à même le sol, on vaque à ses occupations. Dans la majorité des cas, on ne s'attarde pas dans les rues, exception faite de leurs habitants à même le sol : les S.D.F. ; on ne fait que passer. La "street photography" est passante, elle est œuvre éphémère et fascinante à ce titre.
Post scriptum sur "Les anges de Kosice"
Livré à l'errance en Slovaquie, expérimente pour la première fois la photographie numérique, qui n'est pas "empreinte lumineuse" mais "reconstitution de signaux lumineux", qui permet l'auto analysen visuelle et la rapidité d'exécution. Sans connaître les derniers travaux d'un de mes maîtres, deviens maître à mon tour de l'image/scénario en 2005-2006 ; quand Paul Graham réalisait en même temps "A shimmer if possibility" (synchronicité Jungienne).