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Par Gilles Verneret
En 1980, j'effectuais un stage avec le grand photographe américain portraitiste Arnold Newman aux Rencontres d'Arles. Je travaillais alors sur le quartier de la Croix-Rousse avec un Nikon 24x36, suite à l'exposition à la Fondation nationale de la photographie. Je fis alors l'acquisition d'une chambre 4x5 inches et commençais à réaliser pour mon propre compte des portraits d'artistes lyonnais, qui furent exposés au milieu des années quatre-vingt à la Bibliothèque du 1er avec un texte de Jean-Louis Bigot sous le titre "Pauses d'artistes avec prose", et achetés pour la Collection du FRAC.
Mon propos d'alors était de fixer la mémoire de Lyon et de réaliser son portrait sous deux aspects : les lieux et son histoire avec "Adieu à Cybèle" et autour de ses personnages marquants dans "Pause d'artistes". Dans cette série de portraits, je cherchais à évoquer l'œuvre de l'artiste à travers la composition de l'image, fidèle aux enseignements d'Arnold Newman. J'espérais alors devenir portraitiste, réalisant les portfolios des comédiens de théâtre et de télévision pour l'annuaire "Lyon scènes", mais le temps de la photographie posée en intérieur semblait déjà avoir eu son heure et je m'orientais par la suite vers des travaux documentaires à orientation plus sociale, comme [...] les prisonniers et prisonnières de Saint-Joseph et de Montluc.
J'y revins cependant parfois, en travaillant pour l'ARALD sur des portraits d'écrivains et sur une série de mon cru : "Écrivains en bar", où chaque auteur écrivait ce qui se passait pendant la séance de prise de vues. Enfin, pour le passage de l'an 2000, Gilbert Monin de "l'Embarcadère" me confia la réalisation de portraits de lyonnais célèbres vus de face et de dos.
Le portrait photographique, dans sa dimension artistique, a aujourd'hui changé de statut, excepté pour le domaine des photos de presse, et ne constitue plus un secteur privilégié ou indépendant du travail photographique artistique actuel, comme si la tendance cherchait à fuir la dimension individuelle et psychologique de la figure de l'individu et donc de l'expression intérieure et du regard à la manière de Roland Barthes. L'artiste se prête désormais au jeu d'une description des êtres au sein des communautés, où le sujet est noyé derrière sa fonction sociale. Approche qui semble être devenue le pivot de toute démarche dans l'abord du portrait contemporain. Thomas Ruff, Cindy Sherman ou Beat Streuli illustrent bien, chacun à leur manière, la nouvelle direction d'obédience sociologique et anthropologique, empruntée par la photographie de portrait depuis le début des années quatre-vingt-dix, qui traite de l'anonymat individuel et de la normalisation des comportements qui en découlent. Seules échappent à cette standardisation les personnes reconnues dans le champ médiatique, chargées de ce fait de notoriété et de la peopolisation qui en découle.