Avec pertes et fracas
Avec pertes et fracas
Par Audrey Illouz
Publié dans La Belle Revue n°1, In extenso, 2010
Si les objets contondants (bris de verre, lames de couteaux, fils de barbelés) affleurent à la surface des œuvres d'Hervé Bréhier, la menace physique qu'ils contiennent est souvent étouffée par d'autres matériaux tels de la laine mohair ou de la cire qui viennent partiellement calfeutrer un danger latent.
Un équilibre précaire revient comme un leitmotiv et renforce la tension ambiante. Dans sa récente installation farine/ciment (2010), deux sacs du même poids (35 kg) contiennent chacun ces deux matériaux à la texture assez proche. Ils sont liés physiquement et symboliquement au foyer. Suspendus au bout d'un crochet, par un effet de contrepoids, ils éclatent dans un chaos maîtrisé où les deux matériaux se mêlent et où ne restent au bout du crochet que les débris de sacs ayant résisté à la chute. Lorsque le visiteur découvre la scène, le saccage a déjà eu lieu, les lambeaux de papiers suspendus et arrêtés en vol en sont l'indice. Le fracas n'est donc pas audible mais se laisse deviner.
L'artiste emprunte d'ailleurs un autre élément à l'habitat : la porte. Mais lorsqu'il s'en saisit, il en détourne totalement la fonction initiale et la transforme en sculpture aux accents minimalistes. Dans l'installation Porte découpée en sept (2005), l'objet de départ est sectionné, fragmenté pour recomposer une forme. Néanmoins, outre son titre, la sculpture est parsemée de détails qui demeurent comme des traces lointaines de sa fonction initiale : l'épaisseur, les traces de charnières, les éclats de peinture sont autant de détails qui rappellent cet objet à taille humaine qui matérialise le passage. D'ailleurs, le passage est également mis en abyme dans la sculpture à travers un enchevêtrement que rend possible un évidement. Or évidement et soustraction sont récurrents dans les œuvres d'Hervé Bréhier.
L'installation Cartons évidés (2008) joue à son tour sur un équilibre précaire. Cet évidement vertical rappelle la vidéo Les Grues (2003), où se déroule une partie de kapla qui consiste à retirer progressivement les pièces constitutives d'une tour avec en arrière-plan un ciel rempli de grues diffusé sur un écran vidéo. Dans cette vidéo où se rencontrent l'échelle 1 et la maquette, l'effondrement imminent retient le spectateur en haleine. Dans l'installation, cette précarité de la construction, très physique, se double d'un corollaire métaphorique : la cire, tout aussi plastique que liant, est une matière instable.
La tension trouve une autre forme dans l'installation Sans titre (2008) : un circuit d'eau a priori fermé dans lequel une bonbonne de gaz usée sert de simple réceptacle laisse apparaître une fuite. Si le chiffon ligoté au tuyau en est la trace visible, l'eau qui goutte dans la bonbonne métallique en est la contrepartie audible. L'installation vire au cauchemar dès lors que le circuit fermé déraille et que le bruit de la fuite devient entêtant. Dans une variation de l'installation Sans titre (2006) où le circuit d'eau fermé réapparaît, la laine de verre vient cette fois-ci étouffer le son. Si elle rappelle la feutrine dans ses propriétés acoustiques, elle joue aussi sur une ambivalence avec le matériau de chantier et sur une agression physique de la peau. Elle contient cette violence sourde qui rôde dans les œuvres d'Hervé Bréhier.