Texte de Nicole Kunz
Texte de Nicole Kunz
Publié dans le catalogue de l'exposition Enfance & Sortilèges, Ferme de la chapelle, Lancy, 2014
Les fragments d'enfance que Keiko Machida reconstitue dans ses dessins et céramiques ressemblent aux apparitions fugitives d'un rêve qu'on peine à retenir. Visages esquissés, arbres aux bras décharnés et maisons mystérieuses créent une ambiance ambiguë et éphémère, hésitant entre le familier et l'inquiétant. Quelques taches de couleur lui suffisent pour qu'affluent une marée de souvenirs qui contiennent fraîcheur et insouciance, sans oublier les zones d'ombre, pétries d'histoires à faire peur.
Comme à travers les yeux d'un enfant prêt à transformer le réel en magique, Keiko Machida joue sur cette fragile frontière entre rêve et souvenir, entre beau et laid, serein et inquiétant. Une série de petites figurines en céramique l'illustre bien. On les voit les bras soudés au corps ou inexistants, et une tête d'animal démesurée faisant ployer leurs épaules. Assis ou prostrés, ces énigmatiques petits êtres nous évoquent l'âge de la chrysalide, période alourdie déjà par les limites contingentes qui s'étiolent dans la fantaisie pétrissant les esprits.
Dans les aquarelles, la fragilité des images est corroborée par la légèreté du trait qui capte l'essence même des corps et des attitudes enfantines, dans leurs rondeurs et gestes maladroits. Avec tendresse, elle dépeint des petits instantanés où de frêles silhouettes sont accroupies pour jouer, empoignent maladroitement un petit chat ou lancent en l'air une poupée comme une ombre d'eux-mêmes.
La maisonnette tient aussi une place importante dans ce travail. Reconnaissable à sa forme primaire, avec un toit à deux pans, mais sans porte ni fenêtre, elle assume différents aspects, de la boîte en porcelaine sur laquelle se dessinent les ombres d'arbres sans feuilles aux maisons-gigognes réduites au seul contour de leurs arêtes et imbriquées les unes dans les autres.
Le dialogue entre les vides et les pleins joue un rôle important dans ces œuvres, qu'elles soient sur papier et en porcelaine. Les corps en particulier sont le plus souvent laissés blancs, délimités par un trait ou encore exécutés en réserve et enlacés autour d'une tache formée par un autre personnage. Les volumes sont ainsi suggérés et, pleins ou vides, ils deviennent à eux seuls l'espace de la composition, puisqu'ils sont posés sur le fond blanc de la feuille et qu'aucun autre élément de décor n'est dessiné.
Les végétaux par contre s'étoffent de couleurs plus denses qui semblent suggérer le temps qui passe à travers le vieillissement de la matière, voire sa putréfaction, tandis que restent suspendus comme des songes éveillés des bribes venues de l'enfance.