Le Gentil Garçon
Updated — 29/04/2025

Texts

A good pick

By Le Gentil Garçon — Translated by John Doherty, 2014

Texte de Julien Amouroux, exégète du Gentil Garçon

À propos des œuvres du Gentil Garçon dans la collection du FRAC Occitanie-Montpellier, 2019

Imagination

Par Emmanuel Latreille
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

Aventure

Par Yves Tenret
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

Souvent, Peter sortait seul. A son retour, il était impossible de savoir s’il avait eu une aventure ou non. Il pouvait l’avoir si complètement oubliée qu’il n’en soufflait pas un mot.1

Le Gentil Garçon est un centripède. Les rares fois où il se décide à balayer, il ramasse toujours les déchets au centre de la pièce. Ayant conservé l’avidité et les yeux brillants d’un môme, quand il mange un œuf au plat, il asperge le jaune d’oignons grillés, le poivre abondamment, y ajoute des gouttes de vinaigre et ensuite se jette dessus avec un appétit d’ogre. Dans son travail par contre, il peut changer d’approche d'une pièce à l'autre, même si en général, il part d’idées périphériques et les recentre, il lui arrive aussi d’agir à l'inverse et de faire fructifier une idée simple : Pac-Man, c'est de la concentration, Light board, de la dilatation, Take the Painting and Run est centripète, Le propre de l'homme est centrifuge, Le triomphe de la neige ou La Grande Décomposition est centripète, Cératopidoïde est centrifuge...

Incapable d’être, nous sommes bien forcés de nous réinventer. Lier l’art à l’aventure, c’est tout d’abord le désacraliser. L’aventure n’est pas un métier, c’est un état d’esprit. Agissant selon son cœur, impétueux, spontané, ayant un caractère bien trempé, doué d’une bonne dose d’inconscience et d’audace et d’un amour irrépressible du danger, l’aventurier, immoral et turbulent, est un soldat des causes perdues, un corsaire, un pirate, un explorateur, un mercenaire du dérisoire. Egoïste et cabotin, il déchire le rideau du quotidien, rétrograde vers les pires gamineries et ouvre sur l’insolite des yeux émerveillés. Mais, reconnaîssons-le, aujourd’hui, ce genre d’aventurier old school est totalement démodé.

Plût à Dieu que tu fusses froid ou bouillant ; mais parce que tu n’es ni bouillant, ni froid, mais tiède, je te vomirai de ma bouche…2 

Non aux monopoles ! Arrachons l’aventure aux héros ! Depuis Verdun et Hiroshima, la guerre n’a plus rien à voir avec l’aventure. Heureusement, il nous reste la guérilla dans laquelle il s’agit de se fondre dans le paysage, de s’y dissoudre, d’être les dignes disciples de Sun Tzu, guerriers sans bagage, changeant constamment de lieux, muni d’un équipement léger et d’une arme démontable, adaptable, transportable ; de ne pas rêver de conquête mais d’une perpétuelle mobilité ; de jouer, contre la technologie la plus sophistiquée, un jeu de cache-cache et d’improvisation perpétuelle ! Ce n’est pas la fin qui compte mais l’expérience ainsi que le suggère si bien Thomas Edward Lawrence dans Les sept piliers de la sagesse. Aujourd’hui, pour être en phase avec l’époque, l’aventure se doit d'être spectaculaire ou de ne pas être et ce sont avec ces codes là que Le Gentil Garçon joue. Il détourne les moyens de l’industrie culturelle : caméra cachée, ergonomie des jeux vidéo, films cultes, vulgarisation scientifique, manga, dessins animés, et cetera ;  ces détournements ayant pour fonction de révéler le pouvoir ludique et potentiellement critique de ces divers dispositifs.

Mais encore l’aventure, n’ayant pas de modèle avec lequel le mettre en contradiction, n’étant ni substance ni processus ni accident, n’a plus de contenu ni de propriétaire prédéterminé : alors pourquoi ne pas l’arracher à ses propres signes d’endurance et de devoir, la dépouiller de sa défroque pathétique et brutale, pourquoi ne pas la frivoliser, l’alléger, la parcelliser ?3 

L’aventure nous enseigne l’art de manger pour avoir faim. À ce dont un esprit se satisfait, on mesure la grandeur de sa perte, ainsi que l’aphorisait Hegel. Chez Le Gentil Garçon, critiquer n’est jamais une fascination, une stupeur devant le réel. Pour lui, l’aventure, c’est traverser tout cela sans y prêter attention. Il utilise les matériaux de façon très intuitive avec des méthodes pas toujours orthodoxes et il fait des trucs plutôt casse-gueule, en usant des choses les plus communes, des objets de la vie quotidienne ; ceci pour les débarrasser de la collante couche d’utilitarisme qui les recouvre. Allergique aux galeries, au snobisme et aux milieux mondains, très attentif à ne jamais paraître prétentieux – il ne pose pas du tout à l’artiste et reste toujours en phase avec le Mr Tout le Monde qui habite en lui.

Jed acquiesça. La voix de son interlocuteur était celle d’un homme instruit, habitué à la parole ; il ressemblait à un situationniste belge, ou à un intellectuel prolétarien – avec des chemises Arrow tout de même ; pourtant, à ses mains fortes, usées, on devinait qu’il avait effectivement exercé un métier manuel.4

L’aventure ludique lutte contre la vérité et l’esprit de sérieux. Assumant son irresponsabilité, elle se refuse à délivrer des messages. Contre le formalisme et l’intellectualisme, elle pratique le sublime d’un beau geste, beau en ce qu’il est risqué et que son sens – si elle en a un – est la dernière de ses préoccupations. Sous le masque reste caché un chiard émerveillé mais, attention, il ne s’agit pas de chercher l’enfance à tout prix car, et c’est le moins qu’on puisse dire, l’enfance a aussi ses conformismes. C’est l’essence du jeu qu’il s’agit de trouver et celle-ci est bien sûr transgénérationnelle. L'objectif avoué du divertissement est mal vu des esprits sérieux et religieux qui y perçoivent une évasion frivole. Ouvrir le monde à l'imagination leur paraît contre-productif. Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Car comme le disait Marcel Gotlieb, est-ce qu’un bon rire ne vaut pas mieux qu’un bon steak ?

Les hommes éveillés n'ont qu'un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde.5

Ecartelé entre Jules Verne et Léonard de Vinci, Le Gentil Garçon les hybride. De même, entre le côté bricolo puritain de Robinson Crusoé et le délire du Baron Munchausen, il arpente un domaine, avec une économie de moyens digne de Samuel Beckett, qui tient tout autant des Aventures de Harry Dickson6 que des Aventures de la dialectique7. Le danger est sa matière première et la peur, la passion dont il se moque mais à laquelle il revient toujours. Pour se dépasser, il enfile sur sa pauvre petite caboche, une autre tête, énorme et dure, qui est soit en papier mâché pour s’exhiber dans la rue, soit pliable, faite à partir d'une lampe japonaise en forme de boule qu’il cache sous son pull pour pouvoir entrer dans des lieux pseudo sacrés, tels que des musées, sans être refoulé dès l'entrée.

Reste à évoquer la science comme aventure, ce domaine où le vitriol, l’esprit-de-vin et le vert-de-gris s’appellent acide sulfurique, éthanol et hydrocarbonate de cuivre, où rien n’est synthétique, où tout est analysé, disséqué, décomposé. Là, il n’y a pas de doute : Le Gentil Garçon a de la méthode mais cette méthode n’est faite que de déviance, de déplacements subtils et de brusques renversements. Son univers marche sur la tête, glisse, s’échappe, fuit de partout. Ça grince, couine, dérape, crisse. Le Gentil Garçon ne recycle pas, Dieu merci, il détourne, s’invente des situations improbables, s’expose pour mieux se dissimuler… Il y a en lui quelque chose de la science-fiction, et ce même état d’esprit – curiosité, inquiétude métaphysique – analogue à celui qui préside à la science. Et comme la science-fiction le pratique, il peut décliner son univers en écrits, en b.-d., en jouets, en affiches, en timbres-poste, en cd, en DVD et même en œuvres d’art ! Vouloir transformer la réalité quotidienne est une chose, vouloir s’en échapper en est une autre ; ses bidules sont au croisement de ces deux désirs. Colonie pénitentiaire hantée par des loups-garous, des vampires, des zombies et des blagues à Toto, et sans doute aussi par des cyberpunks, des androïdes et des blade runners, sans parler des fameux égorgeurs d’antivirus, cette œuvre donc, machine à explorer les gants, les dents et les glands, est un guet-apens et elle a tout de l’atomiseur Ubik !8

  • — 1.

    James M. Barrie, Peter Pan, ou le Petit garçon qui ne voulait pas grandir, 1904.

  • — 2.

    Apoc., III, 15, 16.

  • — 3.

    Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Au coin de la rue, l'aventure, Paris, 1979.

  • — 4.

    M. Houellebecq, La carte et le territoire, Paris, 2010.

  • — 5.

    Héraclite.

  • — 6.

    Jean Ray.

  • — 7.

    Maurice Merleau-Ponty.

  • — 8.

    Un ionisateur négatif portatif, muni d’une unité organique à haut voltage et bas ampère qu’actionne une batterie à hélium à gain maximum dotée d’une puissance de 25 kilovolts… (cf. P.K. Dick, Ubik, 1969).

Masque

Par Emmanuel Latreille
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

A good pick

By Le Gentil Garçon — Translated by John Doherty, 2014

Pop culture

Par Jérôme Dupeyrat
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

Ironie

Par Yves Tenret
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

Mort

Par Jackie-Ruth Meyer
Publié dans Tout Le Gentil Garçon, éditions Les Requins Marteaux, 2011

Le Gentil Garçon

Article de Thomas Bernard
Publié dans le Fluide Glacial n°531, 2020