Un lieu trop chaud
Un lieu trop chaud
Par Dagara Dakin, Critique d'art et commissaire indépendant
Pour l'exposition De l'atmosphère épaisse d'un lieu trop chaud, GAC - Groupe d'Art Contemporain, Annonay, 2013
L'atmosphère tient ici une place primordiale. Il est le fruit des déplacements multiples à l'origine des réalisations de Leslie Amine. Il ne s'agit pas d'un simple décor. Il permet à l'artiste de replacer le visiteur dans un contexte sans lequel tout ce qui pourra être dit par la suite, tout ce qui pourra être ressenti, ne pourra être pleinement saisi, encore moins vécu. Paysages et portraits sont les genres qui prédominent, seule une toile au sujet plus énigmatique dénote. Elle indique un autre aspect de son œuvre. C'est que tout n'est pas que "luxe calme et volupté".
La série de portraits que l'artiste présente ici, quant à elle, est le résultat d'une résidence à Paris. Dans ce cadre elle a arpenté les rues de la capitale et de sa proche banlieue et demandé à photographier chacun de ses modèles. Son regard s'est arrêté sur des personnes d'origine africaine ou antillaise. Jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes, sont vêtus de vêtements dits « ethniques » ou au contraire de façon plus mode actuelle. C'est un choix voulu par l'artiste qui semble s'être intéressée au contraste qui réside entre ces façons de se vêtir. Les codes vestimentaires et les impressions qu'ils suscitent, la capacité qu'ont ces mêmes personnes de passer de l'un à l'autre de ces styles.
Et bien qu'elle avoue préférer "laisser le visiteur dans une certaine subjectivité par rapport à cette question", il n'en demeure pas moins qu'elle questionne l'immigration de ces populations à Paris. D'où le choix de ses modèles. C'est aussi une manière de s'interroger sur des concepts que sont : le stéréotype, l'exotisme ou encore la modernité.
À partir de ses images prises dans les rues parisiennes, d'un commun accord avec les protagonistes - il n'est qu'à voir les pauses que ceux-ci adoptent pour se rendre à cette évidence - Leslie Amine a élaboré les portraits que voici en les replaçant sur un fond constitué de nuées.
Mode de présentation qui n'est pas sans évoquer celui dont les peintres classiques avaient l'habitude d'user. À la fois réflexion sur la nécessité de peindre à l'ère du numérique, ses portraits utilisent également les codes de représentation qui appartiennent aussi bien au champ de la photographie qu'à celui de la peinture. La photographie s'étant dès ses origines inspirée de la peinture.
Enfin, pour rendre la lecture de ses images moins évidente, l'artiste s'autorise à les fragmenter. De la sorte, elle invite le regardeur à recomposer mentalement certaines d'entre elles. Tout n'est pas donné à voir tout de suite, des fragments absents se retrouvent plus loin dans l'exposition.
Une manière de garder l'attention du visiteur. Ce dernier est ainsi invité à appréhender la proposition comme une énigme à résoudre, compléter un puzzle dont les pièces manquantes lui sont données à voir au fur et à mesure de sa progression dans cette atmosphère épaisse dans laquelle évoluent les portraits et paysages de Leslie Amine.