Lucas Zambon
Updated — 27/01/2025

Entretien

Entretien avec Lucas Zambon (extraits)
À l'occasion de l'exposition Aux lisières, Fondation Renaud, Lyon, 2024

La Fondation Renaud s’est entretenue avec Lucas Zambon pour comprendre sa pratique artistique et retracer son expérience de trois mois au Fort de Vaise. Propos recueillis et retranscrits par Camille Réty.


[...] Fondation Renaud : Comment décrirais-tu ta pratique artistique ? On sait qu’elle est relativement protéiforme…

Lucas Zambon : Ma pratique artistique est un ensemble de moyens me permettant de raconter des histoires. Raconter des histoires, c'est un peu le ciment qui lie chacune de mes pratiques. C’est ce qui me permet de créer des images, que ce soit en photographie, en peinture ou avec des mots. Mon travail me permet de montrer les choses peu visibles qui nous entourent, auxquelles on accorde peu d’attention et qui sont parfois banales, disons-le. Je vois mon art un peu comme une manière d’encourager le public à regarder le monde différemment. C’est une sorte d’appel : « Regardez ces choses-là, juste avant ou juste après l’action ; il y a quelque chose qui fait sens, une histoire qui se raconte ». Je propose de décentrer notre regard, une lisière n’est pas une ligne de frontière mais une transition poreuse et progressive.

Cette manière de raconter des histoires a-t-elle évolué au fil du temps ?

[...] En arrivant aux Beaux-Arts, j’ai appris à mener mes projets sous forme de recherches avant de réfléchir au médium. C’était très intéressant mais cette démarche a rapidement été bloquante pour moi et c'est un rapport intuitif, le fait de penser en faisant, penser avec les mains, qui a été ma voie. À cette même période, j’ai choisi les spécialités « Vidéo et Photo » et j’ai mis de côté le dessin et la peinture pour me consacrer pleinement à ces deux disciplines. Puis, petit à petit, la peinture est revenue en secret s’immiscer sur mes photos, pour les retoucher manuellement.

C'est seulement ensuite que l'écriture à fait son grand retour dans mon travail comme une nécessité émotionnelle. Le geste de dessiner et de peindre, également. Aujourd’hui, mon travail est empreint de toutes ces expérimentations et c'est la continuité de mes essais de supports, de matériaux qui m’a fait me tourner vers le bois pour mes tirages actuels.

Et pendant cette résidence de 3 mois au Fort de Vaise, quelle a été ta démarche artistique ?

J’ai imaginé cette résidence comme un continuum des recherches que j’avais déjà commencées, comme celle de considérer les images comme une accumulation de couches de sens, à l’image des substrats archéologiques. Mes photos sont le résultat d’une superposition d’actions : Prise de vue / Scan / Retouches / Tirage / Application de peinture… Cette superposition se retrouve aussi dans les techniques de la peinture à l’huile : une succession de couches plus ou moins fines et transparentes. Un autre pan important de ma démarche artistique est de reprendre le contrôle sur l’automatisme des appareils de captation actuel. Cette intervention, je la matérialise dans les jeux de flou, la surexposition ou sous-exposition, l’utilisation de différents filtres, de flashs, la dissimulation de certaines parties et même de différentes pellicules. Ces choix visent à distordre la vision du regardeur et empêchent l’épreuve finale d’être trop « claire », d'être une image telle qu'on l'attend. Paradoxalement c’est par le décalage que l’on peut se souvenir que l’on regarde une image : une vision construite.

Je suis venu à la Fondation Renaud avec mes archives photographiques et j’ai pioché dedans comme dans les œuvres des collections. J’ai choisi d’en recadrer certaines en me focalisant sur des détails. Tout l’enjeu était de photographier les œuvres dans les réserves en jouant des contraintes de distance, en étant trop près à cause de l'espace entre les armoires de conservation, et donc flou volontairement, plutôt qu'utiliser un macro. Ou encore en mettant en évidence le geste de la conservatrice : on voit ses mains quand elle me montre les œuvres. Ces contraintes m’ont finalement permis de réinterpréter et de me réapproprier les œuvres, en quelque sorte de les intégrer à ma collection, ce qui me permet de les faire ensuite dialoguer avec mes autres images. Dans cette résidence, le dialogue avec les collections, mais aussi les équipes de la Fondation, était pour moi essentiel. Par exemple, je vais intégrer à l'exposition certaines œuvres choisies de concert avec Stéphanie (la responsable des collections). [...]

© Adagp, Paris