Marie-Anita Gaube
Updated — 13/01/2021

Entretien de Delphine Masson et Isabelle Reiher avec Marie-Anita Gaube

Entretien de Delphine Masson et Isabelle Reiher avec Marie-Anita Gaube (extrait)
Catalogue de l'exposition Odyssées, CCC OD, Tours, 2020

[...] De quoi traitent les nouvelles toiles que tu as réalisées spécifiquement pour l'exposition ?  

Dans mes précédentes peintures, les corps avaient une place secondaire. Depuis la fin de 2019, ce rapport tend à s'inverser : les personnages occupent une position plus frontale sur la toile, ils sont moins flottants qu'auparavant. En passant au premier plan, chaque geste prend de l'importance et exprime quelque chose de plus précis. C'est ce qui m'a amenée à réaliser trois toiles dans lesquelles j'aborde plus spécifiquement la question du corps à travers sa gestuelle. Chacune représente une posture qui m'évoque un sentiment particulier. Il s'agit de corps dansants, de corps en extase ou en transe. Je me suis beaucoup inspirée de la danse, notamment des mouvements de basculement, de chute et d'ascension que l'on voit chez Pina Bausch ou Martha Graham.  

Le corps semble devenir un sujet à part entière de ta peinture. Est-ce que cela implique une autre façon de le représenter ?

L'hétérogénéité, la profusion d'éléments et de détails qui se juxtaposent dans un environnement reste un aspect constitutif de mon univers. Il y a toujours une multitude de peintures dans chacune de mes peintures. Mais ces nouvelles œuvres comportent moins de narrations, le corps n'est plus perdu au milieu d'autre chose : il est effectivement le véritable sujet du tableau. Cela m'a amenée à le peindre différemment. La chair par exemple n'est pas traitée comme telle. Les corps sont moins dessinés, moins contenus dans leur enveloppe. Ils sont vaporeux, fragmentés, déformés et très colorés. Il y a une recherche particulière sur la couleur, dans l'expression d'un caractère, d'un sentiment ou d'une sensation. Plus que des corps, ce sont surtout des énergies que j'ai voulu représenter à travers eux.    
Cela me fait penser à la façon dont Francis Bacon abordait le corps. Non pas en s'intéressant à son aspect extérieur mais en explorant son intériorité, la sensation de ce corps dans l'espace, son âme en quelque sorte. C'est quelque chose que j'avais aussi en tête en peignant ces nouveaux tableaux qui constituent, me semble-t-il, un tournant dans mon travail.  

Au CCC OD, tu exposes dans un espace qui a la particularité d'être noir. Comment envisages-tu ce contexte d'exposition et cette expérience pour ta peinture ? Comment ta couleur réagit-elle ?


Au départ, je dois avouer que cette salle me faisait très peur. Mais je suis surprise par le résultat. Le noir met vraiment en valeur les couleurs.Mes peintures sont assez bruyantes. Or, le mur noir a tendance à calmer la toile, à lui apporter quelque chose de plus intimiste. Il vient apaiser ces peintures qui crient. C'est comme si elles se retrouvaient dans un caisson, comme si chacune pouvait s'exprimer sans interférer sur l'autre. Je construis toujours mes expositions de la même façon que j'imagine mes peintures : en me racontant des histoires. C'est une suite logique d'événements que je mets en espace. C'est très intéressant pour moi de découvrir quelles nouvelles relations se tissent entre mes peintures dans cette galerie noire.

© Adagp, Paris