Marie-Claire Mitout
Updated — 12/02/2024

Série 5

Série 5, Le Japon, 2019-2020
Texte d'introduction, Marie-Claire Mitout, 2020
En 2017, la commande publique d'un calendrier monumental de l'avent par le CAC de Meymac a donné lieu à la réalisation d'un dispositif visuel, Le songe, dont le nombre d'images (24 images, 24 heures, diffusées une à une sur 24 jours) se voulait l'équivalent d'un programme où la vie et l'art sont associés. Parmi les motifs des grandes peintures de ce calendrier onirique, se trouvaient les images programmatiques des Plus Belles Heures à venir. La Grèce et le Japon étaient envisagés comme territoires prolongés d'imaginaires possibles.

La lecture de l'ouvrage de William Marx, Le tombeau d'Œdipe, pour une tragédie sans tragique, servira de guide à cette déambulation en Grèce. Hasard objectif des chemins, dans ce texte, W. Marx évoque, dans la tragédie du Nô, la présence d'un personnage aveugle inspiré du poète Semimaru (époque de Heian) dont l'histoire serait le pendant de l'Œdipe de Sophocle.

C'est aussi en s'appuyant sur ce rapprochement inattendu - Œdipe et Semimaru aux pouvoirs surnaturels, étant tous deux frappés de cécité, punis de ne pas avoir « vu » leur destin et abandonnés des leurs à la périphérie d'une ville royale (Colone/Athènes) ou impériale (Otsù/Kyoto) - que fut décidé, à l'été 2019, d'associer aux Plus Belles Heures, un premier voyage au Japon.
Durant ce premier séjour japonais, fut réalisée une suite de 26 peintures ainsi qu'une prise de notes, avec l'intention de revenir pour compléter cette approche et approfondir les correspondances possibles entre ces deux récits tragiques et entre les cultures respectives qui les ont vus naître.

Au cours de ce voyage a été réalisée une première reconnaissance de lieux : Kyoto, sa forêt, approche du sanctuaire de Semimaru à Otsù, les rives du Biwa à Ômi, scènes et paysages proches du mont Fuji, bords de mer du Pacifique, Tokyo, ville et stations du Tokaido peintes par U.Hiroshigé (par délicatesse pour la compréhension du monde japonais, les peintures ont principalement eu pour sujet des paysages). Ainsi, vie et peinture s'enchaînent et se rejouent, dans un recommencement qui traduit la joie d'être au monde.

Vivre les lieux, c'est aussi considérer leurs habitants et ce qu'ils en font, comment ils les rêvent ou les transforment. Des vastes paysages aux espaces domestiques, se déploie un inventaire infini de formes, de lumières et de gestes, tous en relations avec un vécu. Le témoin des Plus Belles Heures ne regarde pas seulement les espaces qui se présentent à lui, il s'y coule et quelles que soient leurs configurations, s'en émerveille.

Peindre ces mondes, ce n'est pas les reproduire, c'est prendre le temps de vivre les mouvements qui les animent. La peinture relève d'un processus à inventer du temps et des espaces où la vie ne peut qu'être source d'enrichissement sans perte. D'un lieu à un autre, d'une figure à l'autre, les peintures font le récit de cette expérience du lieu qui n'est pas seulement optique mais aussi, bien évidemment, philosophique (le meilleur du jour), cherchant dans le désordre des rues, dans l'ordonnancement d'une pièce de vie, dans le fouillis d'un feuillage ou les mouvements gymniques d'un promeneur, l'essence des réalités et des cultures.
© Adagp, Paris