Grandir comme un arbre
Grandir comme un arbre
Par Emmanuelle Salasc Pagano
Texte inédit pour Nos feux nous appartiennent, monographie de Marine Lanier, co-éditée par Poursuite Éditions, Arles-Paris et Jörg Brockmann, Genève, 2016
J'ai neuf frères et sœurs, quatre nés avant moi, cinq après. Nous sommes tous partis de la maison aujourd'hui, tous adultes et tous parents d'enfants uniques, ou de deux ou trois enfants maximum. Petite, je me sentais orpheline dans cette famille nombreuse, et je crois que mes frères et sœurs partageaient cet étonnement. Nos parents étaient trop occupés par les tâches domestiques et le travail dans les serres pour nous offrir du temps. Le soin des plantes, les repas, le ménage et la lessive envahissaient notre vie de famille, encombrant les heures jusqu'à la fatigue bienvenue du soir, cette impression de lassitude donnée à la nuit. Nous, les enfants, nous échappions à cette emprise laborieuse pendant l'école, où le travail scolaire nous apparaissait comme un jeu, une rêverie.
Nos parents n'avaient pas de repos. Bien sûr, nous les aidions, avant et après l'école, et tous les week-ends et les vacances, mais cette aide ne les libérait pas, elle allégeait juste la lourdeur des corvées répétées, espaçait leur répartition, divisait leur nombre. Nous avions vite compris la fortune de cette aide : c'est dans cette aide que nous nous glissions pour être près d'eux, c'est par cette aide que nous pouvions communiquer avec eux. Nous nous disputions pour aider aux tâches qui nous permettaient de leur parler. Le plus difficile était de trouver notre place et de la garder, on ne savait jamais où se mettre, où rester.
Notre mère nous donnait ses regards et ses mots pendant la vaisselle ou les lessives, merveilleux moments privilégiés où l'on pouvait parler en tête à tête. Ce que j'aimais surtout avec elle, c'était les moments où on fredonnait à deux. On s'amusait à chanter-pleurer ensemble devant l'évier de la cuisine, on se chantait des chansons tristes pour pleurer ensemble, et ça notre mère ne le faisait qu'avec moi. Nous partagions nos larmes de midinettes les quatre mains reliées sous l'eau sale, et les émotions dilatées ensemble. La préparation des repas se faisait à quatre ou cinq, ce n'était pas assez intime à mon goût, mais quand même, c'était une place assez prisée qui nous permettait d'échanger en petit comité. Autour de la table, et surtout autour de la cuisinière, où l'espace était plus restreint, s'installait une proximité dans laquelle nous pouvions parler de nos petits ennuis, nos premiers émois, nos questions de filles, et rendre nos pensées, nos sentiments, comme les légumes ou fruits rendent un jus, une eau en cuisant.
Notre père préférait nous assigner des corvées qui nous éloignaient de lui, dans les plantations, lui dans une allée et nous dans une autre, à l'opposé. Seuls les aînés avaient la permission de pénétrer dans les serres. Notre père était toujours ailleurs, dehors, dans les champs, ou dans d'autres dedans, les granges, les serres ou les garages, de grands hangars pour les machines de plus en plus nombreuses et sophistiquées.
Les moments où notre père était le plus près de la maison, c'était lorsqu'il brûlait des ordures ou les déchets des végétaux dans la cour de devant, à chaque printemps. Je ne sais pas pourquoi ça se faisait toujours dans la cour, peut-être à cause du danger de propagation, plus limité dans cet espace goudronné. Mes frères, mes sœurs et moi, nous sortions encadrer le feu, nous disions (prétextions) « surveiller le feu », pour nous rapprocher de notre père.
Il nettoyait les vestiges que l'hiver avait retenu du printemps dernier, les racines décharnées et poussiéreuses, les branches brisées, les cadavres des grimpantes, les cosses flétries et rétrécies, rassemblant tout ça au rateau, à la brouette, avant de mettre le feu à la saison passée.
Les jours de vent, il n'y avait pas de feu.
Nous habitions dans le couloir principal du feu, cette vallée creusée par le fleuve qui fend le sud-est de la France en deux. Notre maison était tout près de ce fleuve, dont les débordements, malgré les digues immenses, empiétaient parfois sur les cultures. Ce n'était pas si grave, cette eau chargée de mémoire limoneuse nourrissait la terre. C'était une année de perdue, mais d'autres à venir seraient grasses. Près du fleuve, les jours sans vent, il y avait certains matins un brouillard tassé que le soleil ne pénétrait pas, mais rendait aveuglant. Le brouillard renvoyait la lumière. La fumée du feu semblait nourrir ce brouillard, le feu dans le brouillard devenait une brume et nous, des mangeurs de brume. Le temps, qui avançait plus vite que le brouillard sur les rives, frottait et nettoyait l'air jusqu'à ce que le brouillard disparaisse. Seule la brume du feu persistait après le passage de midi.
Le vent desséchait les peaux aussi vite que le feu. Il était si froid qu'il brûlait et donnait à notre père des engelures malgré la crème, malgré les gants. Le vent durait plusieurs jours, en continu ou, le plus souvent, contenu dans certaines plages horaires. Il y avait des heures de vent : le vent se levait et retombait, ou changeait de sens, aux mêmes heures. Nos parents connaissaient bien ces heures. Notre mère, mes soeurs et moi, nous allions décrocher le linge avant les heures de vent, qui l'aurait entortillé sur son fil ou envoyé habiller les champs.
Le vent distribuait les graines n'importe comment et notre père avait la hantise des mélanges des gènes de ses plantes, arbustes, arbres. Il veillait sur ses semences. Il oubliait que nous étions aussi vivaces que le vent. Lorsque nous rentrions des cultures, notre mère nous demandait d'enlever nos chaussures et de retourner nos poches dans la cour. L'été, quand nos pieds dans les sandalettes étaient aussi sales que les sandalettes elles-mêmes, elle nous demandait de nous déchausser pour aller frotter nos pieds dans l'herbe courte de la pelouse sur laquelle finissait la cour en pente douce, c'était moelleux et ça nettoyait mieux que l'eau. On se lavait à l'herbe dense, ou avec la terre, surtout la terre sableuse, granuleuse, pour les saletés grasses. Notre père nous avait montré comment décrasser ce qui collait en nous frictionnant avec de pleines poignées prises dans les jachères. Mais notre mère surveillait l'entrée de la maison, pas question de ramener de la terre à l'intérieur.
La maîtresse, elle, n'y pensait pas, mais comme nous avions l'habitude de la maison, nous retournions nos poches près du préau avant d'entrer en classe. Contrairement aux enfants des villes qui reviennent de l'école les poches pleines de sable, nous, c'est à l'école que nous apportions de la terre, des graines et des glands lorsque nous aidions notre père à transporter quelques cagettes de semis tôt le matin avant de partir.
Nous pensions avoir amené le fusain ailé qui avait poussé dans la bande de terre étroite bordant les fenêtres des salles de classe, parce que seule l'entreprise de nos parents cultivait ce genre de fusains dans la région. Nous taisions notre petit secret de germination. Nous nous disions que le fusain, ça allait bien avec l'école, même si le fusain de l'intérieur n'avait rien à voir avec celui de l'extérieur : les bâtonnets avec lesquels nous dessinions étaient très certainement issus d'une branche de saule carbonisée en vase clos. Seul le bois de saule permet une grande variété de diamètres, une homogénéité de tendreté et une bonne densité de noirs.
Le fusain de l'école décorait l'automne de ses feuilles rouges finement dentées, et les fruits, capsules ressemblant à des baies, formées de quatre ou cinq lobes rosés, se fissuraient pour laisser s'échapper des graines gainées d'une enveloppe charnue, presque une chair, orange vif. Nous n'osions pas dire que toutes les parties du fusain étaient toxiques, persuadés d'être à l'origine de cette plantation, nous ou nos frères et sœurs aînés. Mais nous ignorions que les graines du fusain ne sont pas toxiques pour les oiseaux : ils digèrent la partie charnue extérieure et dispersent les graines avec leurs déjections. Nous étions certains que les oiseaux planteurs, c'était nous. Nos poches de jean retroussées ensemençaient des graines dans l'école, et nous en gardions le secret. Pourtant, le fusain de la cour de l'école pouvait aussi avoir été planté par les oiseaux chiant sur nos plates-bandes entre deux récrés, avant que nous ne les chassions par nos cris et nos jeux.
Notre père lui aussi déplaçait plantes, arbustes, arbres, mais de façon officielle. Ses semis étaient livrés dans toute la région. Il était plus disperseur de graines que nous, et même que les oiseaux, et en plus, il déplaçait les arbres. Non seulement les arbres en pot, les arbres encore jeunes, les petits arbres d'ornement, mais aussi les grands, les enracinés, les plus hauts que les maisons. Sur son camion, c'était même écrit en gros, « démontage d'arbres ».
Notre mère, elle, n'avait pas autant de pouvoir, mais elle était un peu sorcière en sa maison. Quand elle faisait brûler des choses, c'était à l'intérieur. Elle brûlait des surfaces de corps. Des cuirs de gibiers tués par notre père à la chasse, bécasses, cailles, canards, perdrix, poules d'eau, et mes préférés, les faisans goûteux avec plein de couleurs à écarter. Avant d'être léché par les flammettes du gaz, le cadavre était d'abord plumé sur la table de la cuisine recouverte d'une toile cirée elle-même couverte de vieux journaux, comme pour les épluchures de légumes. Notre mère disait « éplucher » les oiseaux, au lieu de plumer. Elle disait « éplucher » aussi pour les œufs, lorsqu'il s'agissait d'enlever la coquille et, en même temps, la peau de l'œuf à peine dur. La volaille était étêtée, sauf les bécasses et les faisans dont on pouvait manger la cervelle et la délicate chair du cou. Les pattes étaient gardées pour servir de poignées au moment du gazage. Notre mère commençait par plumer la queue, puis la poitrine, le dos, et enfin les cuisses et les ailes. Les plumes devaient être tirées dans le sens inverse de la pousse, comme pendant l'épilation. Il fallait éviter de déchirer la peau. Bien souvent, l'impact des plombs de notre père avait créé une fragilité dans la chair, et un soin plus particulier était nécessaire à cet endroit. Lorsque notre mère épluchait les proies de notre père, il y avait des plumes partout malgré les journaux, et nous jouions à l'agacer en soufflant sur les toutes dernières, les plus petites, celles qui se cachent sous les aisselles et se dispersent au moindre souffle, épousant les appuis cachés de l'air. Notre mère dépliait les ailes des grands oiseaux et nous confiait le soin de tenir l'aile bien ouverte. Les ailes des plus petits étaient coupées aux ciseaux, il n'y avait pas assez à manger pour prendre la peine de les préparer.
Lorsque l'hiver était chaud, nous plumions les volailles dehors, sur la grande table de la cour : les faisans généreux et béants nous offraient des nuanciers de teintes sublimes qui miroitaient dans le soleil du matin. Nous jetions les plumes tout autour de nous comme si c'était kermesse ou carnaval avec du rab de gros confettis lumineux et collants. Nous n'avions jamais d'oiseaux noirs à plumer, les corbeaux ne sont pas chassés, et notre père n'avait jamais tué de merle noir. Notre mère disait avoir lu dans un livre que le merle noir ne serait que l'ombre du merle blanc, qui est si blanc qu'on ne peut pas le voir. Nous n'avions jamais de gibiers blancs non plus. Quand tout le corps était débarrassé de ses couleurs, notre mère raclait le duvet avec un couteau et emportait la dépouille pour flamber au gaz les derniers duvets au-dessus de la cuisinière, en tenant l'oiseau par une patte et en le tournant dans tous les sens. L'odeur était aussi forte que celle fabriquée par notre père en brûlant des végétaux dans la cour, cette odeur calcinée de notre père qui parvenait, âcre et persistante, à s'insinuer dans la maison, même les portes et les fenêtres fermées. Dans ces échanges de feux, l'odeur des peaux nettoyées au gaz par notre mère, s'avançait, elle, jusqu'au milieu de la cour.
À l'aide d'un doigt glissé par le cou de la bête, notre mère décollait les poumons, puis l'ensemble des autres organes en enfonçant sa main après avoir incisé le croupion, cherchant loin dans le corps pour attraper le cœur et les reins, qui s'accrochaient toujours un peu aux parois. Puis elle vidait l'animal de ses entrailles, qui venaient toutes ensemble. Elle réservait le cœur, les reins et le foie, en prenant soin d'ôter le fiel, parce que nous étions quelques-uns à goûter la saveur ferreuse des abats. Enfin, elle rinçait l'intérieur de la bête à grande eau. Notre mère s'occupait bien sûr aussi des gibiers à poil, dans la cour s'il faisait beau, ou au-dessus de l'évier. Elle attachait une ficelle au niveau de la première articulation de chacune des deux pattes arrière et pendait la dépouille, la tête en bas, le ventre devant elle. Elle incisait aux bons endroits, coupait la peau tout autour de l'os pour la détacher. Ensuite, venait le moment le plus facile que notre mère nous léguait. On se chamaillait pour se saisir de la peau décollée de chaque patte et on tirait vers le bas, déshabillant le lièvre en retournant son enveloppe comme un gant.
La multiplication des tâches était saisonnée. L'été était si dense que tout devait être fait « à la va-vite », comme disait notre mère, et moi je me demandais quelle était la saison de « à la va-lentement », puisque même l'hiver avait ses servitudes. Les plus grands d'entre nous bravaient parfois les cycles des saisons et la raison de notre père en entrant dans les serres de nuit pour éclairer violemment les fleurs à la torche et les forcer à s'ouvrir. Nous savions que ces fleurs, lorsqu'elles venaient au bon moment, finissaient dans la chambre froide. L'automne, lorsque les jours offraient leur temps à la nuit, notre mère et les plus costauds d'entre nous rentraient dans le noir des soirs précoces, après l'école, les bûches que notre père avait fendues. Je voyais les jambes blessées de notre mère, pleines d'hématomes, quand je la surprenais en culotte dans la salle d'eau. Elle me disait, embarrassée, que ce n'était rien, qu'elle marquait beaucoup, et, une fois tous les stères rentrés, je regardais changer la couleur des bleus sur sa peau. J'avais réussi un soir à la convaincre de se laisser enduire d'arnica et je lui avais demandé si nous étions pauvres. Nos parents avaient une grosse entreprise de plantation, d'élagage et d'entretien des espaces verts. Je passais la pommade sur ses hématomes en l'interrogeant sur ce que je pensais être un paradoxe. Même les longues journées de printemps, lorsque les derniers de nous étaient encore tout petits, notre mère se couchait parfois si tôt, éreintée, qu'elle ne voyait pas les étoiles du soir. Pour moi, avoir des bleus aux jambes en automne et se coucher juste après le crépuscule au printemps, c'était être pauvre. Je me demandais si les nuits réparaient les jours ou si c'était l'inverse. Nos parents avaient des ouvriers agricoles, mais pas d'employés à la maison. Notre mère se laissait aller au baume de mes caresses, mais bondissait sous la cognée des questions, qui ne faisaient tomber aucune réponse, sauf un soupir excédé de-ci de-là. Je crois que tenir sa maison était sa fierté, et nous élever une vocation. Notre mère ne travaillait pas dans l'entreprise, les ouvriers étaient là pour la libérer des serres, et lui permettre de s'enfermer au foyer. Elle savait tout de nous, elle reconnaissait nos pas, ne se trompait jamais dans le tri du linge, savait à qui allait la moindre chaussette gainant ces pas, même lorsque les chaussettes, comme dans toutes les familles nombreuses, étaient déjà passées des uns aux autres. Elle disait qu'elle nous connaissait comme si elle nous avait tricotés, mais elle nous tricotait toujours tous ensemble.
Elle venait d'une ferme isolée sur un plateau lointain, où les habitudes des travaux étaient tout aussi denses, resserrées dans l'espace et le temps agricoles, mais dont le paysage, dessiné par les troupeaux, et déployé d'estive en estive jusqu'aux fins des regards, permettait des échappées que l'entreprise de notre père interdisait. Nos plantations étaient bornées, rivées au fleuve. Les champs du pays de notre mère, pareillement envahis de vent, étaient malgré tout emmitouflés d'un certain repos, une paix peut-être, à peine contredite par les sonnailles des brebis, et toujours renouvelée : l'horizon sans cesse reculé donnait aux enfants gardant les bêtes de grandes respirations. Elle en parlait comme d'un pays ouvert, un pays désert, un pays rêvé, peut-être disparu. Nous n'y sommes jamais allés.
Dans les serres et les garages, il y avait tout le temps du bruit, les bruits des machines, et chez nous, à la maison, il y avait tout le temps du bruit aussi, les bruits de nous. Alors, souvent, je partais, j'allais marcher seule au-delà du fleuve, dans des petits bois qui me sortaient des plantations familiales ordonnées. Je rêvais de plus grand, de forêts, de forêts primaires et brouillonnes dont j'avais entendu parler dans des livres. Les bois étaient un écrin à mon bruit à moi, mon propre bruit, que j'entendais dans les bruits sylvestres, des bruits si ténus que je les appelais le silence, jusqu'à ce qu'un arbre craque et surprenne mon écoute toute tournée vers moi-même. Je suivais des voies à peine visibles, à peine des sentes, qui s'abritaient derrière les lisières, puis serpentaient autour des arbres, sans doute des coulées de chevreuils. Une année, j'avais trouvé par hasard un chemin caché dans les plantations. Notre père s'était trompé en semant, il y avait un vide qui faisait un sentier impossible à deviner avant de faucher. Je m'y réfugiais pour m'écouter. Je faisais l'aller-retour le long de cette allée d'erreur, je pouvais presque entendre les flux de mon corps, je sentais mes canaux. Je percevais ce qui circulait en moi, ce qui me rendait vivante. Le sang propulsé par la marche, la salive sous mon palais, l'air que j'inhalais. Ces sensations me donnaient la conscience d'être traversée. Une conscience de muqueuses, de vaisseaux, de veines, de trachée, comme si j'étais de bois : tout sauf inerte et vide. J'étais composée d'éléments conducteurs, de capillaires pleins de substance nutritive. Levait en moi une sève brute, ascendante, celle qui fait croître une plante vasculaire jusqu'à la faire devenir arbre. Je m'écoutais vivre : grandir comme un arbre.
Je m'écoutais aussi la nuit, pendant le sommeil des autres. Quand il n'y a pas de bruit, quand tout le monde se tait, c'est nous que nous entendons, notre corps, nos voix, nos marches, et, si le silence est quasi complet, notre intérieur.
Aujourd'hui, quand je reviens voir nos parents pour Noël, un mariage, un enterrement, les retrouvailles sont difficiles, un temps de réadaptation est nécessaire. Je ne suis plus habituée à tous ces bruits de la famille. Je n'ai que deux enfants, un garçon et une fille, déjà presque adultes. Deux enfants, et une petite-fille dont j'ai rêvé, il y a quelques jours. C'était une petite fille que je ne connaissais pas, que je croyais avoir abandonnée, et je culpabilisais pour ça. Dans ce cauchemar, je me souvenais de cette petite fille que j'avais abandonnée dès sa naissance, mais pas complètement, pas suffisamment pour qu'elle soit adoptable. J'avais d'autres enfants, les mêmes qu'en vrai, des enfants plus grands que j'avais élevés, et qui vivaient avec moi. Je me disais qu'il faudrait que je m'occupe un peu de la petite fille, même si elle avait grandi. Je demandais à mes autres enfants s'ils la connaissaient. Ils me répondaient mais oui, on la voit de temps en temps. Ils ne disaient pas que c'était leur sœur. Je ne comprenais pas pourquoi ils la voyaient, et pas moi. Ce cauchemar m'a tellement bouleversée que j'en ai parlé dès le réveil aux enfants, à mes vrais enfants, pas ceux du rêve. Ils ont souri, ils m'ont dit que cette petite fille, c'était moi, ou plutôt celle que je n'ai pas été, que l'on ne m'a pas permis d'être. Je confondais cette enfant et mon enfance, cette enfance que je pensais n'avoir jamais eue.