Dans l'Ardèche, Mengzhi Zheng dévoile ses anti-architectures
Dans l'Ardèche, Mengzhi Zheng dévoile ses anti-architectures
Article de Philippe Dagen, paru dans Le Monde, septembre 2022
Dans l’Ardèche, Mengzhi Zheng dévoile ses anti-architectures. Divers travaux sont exposés : constructions allant de la maquette à l’installation monumentale in situ, collages, eaux-fortes et sérigraphies.
Exposition inattendue dans un lieu inattendu : Mengzhi Zheng, qui est né à Ruian (Chine) en 1983, mais vit en France depuis 20001, prend possession de plusieurs salles du château de Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Celui-ci, commencé au XIVe siècle en style forteresse, fut par la suite modifié pour plus de légèreté et des fenêtres ouvertes dans ses murailles au XVIe siècle. Si l’on précise ces points d’architecture, c’est parce que celle-ci est le sujet principal des travaux de Mengzhi Zheng et que ceux qu’il présente dans les tours et les salles répondent aux espaces qui les reçoivent. Ce sont des constructions, dont les dimensions vont de la maquette à l’installation monumentale in situ, et des suites de collages, eaux-fortes et sérigraphies qui entrent en résonance avec elles.
Sens de la dérision
Conformément aux habitudes de l’architecture, elles sont déterminées par la géométrie, les lignes parallèles, les angles droits, la symétrie et admettent parfois le cercle et la courbe. Le carton, le polycarbonate et le bois en sont les matériaux. Ainsi sont matérialisés les plans et les structures de ces constructions. Mais ce qui apparaît d’abord, avant même de savoir qu’une série se nomme « Inhabitats » et une autre « Maquettes abandonnées », c’est que ces propositions ne sauraient être raisonnablement réalisées, car elles sont inutilisables d’un point de vue pratique.
Les « édifices » de Mengzhi Zheng, si tant est que ce mot convienne ici, sont tantôt absurdement incomplets, tantôt beaucoup trop fragiles, tantôt encore impénétrables. Ce qui serait une charpente s’interrompt à l’improviste et ce qui serait une poutre faîtière s’avance dans le vide, inutile. Les surfaces qui seraient des toits et des murs ne se rejoignent pas ou manquent et le regard passe à travers un spectre de maison comme il passerait à travers une ruine.
Ou, à l’inverse, on se heurte à des volumes compacts et hermétiques : de beaux modèles de blockhaus, qui seraient séduisants s’il ne s’agissait de fortifications destinées à tuer.
Ces sculptures-assemblages-constructions ne peuvent être regardées sans y attacher des références et des récits. Pour les bunkers, c’est immédiat : les guerres, de la première guerre mondiale à aujourd’hui. Pour les plus frêles montages de chutes de planchettes et de débris, c’est tout aussi immédiat : les bidonvilles, les favelas et les camps de réfugiés, partout dans le monde, accumulent de telles cabanes de récupérations, improvisées et insalubres. Les maquettes les plus propres, par leur blancheur et leur netteté, font, quant à elles, penser aux publicités qui cherchent à vendre des habitations standardisées pour villes nouvelles et au film Le Couple témoin dans lequel, en 1977, William Klein parodiait déjà cette industrie.
Les architectures de Mengzhi Zheng sont donc des anti-architectures, comme l’était aussi la New Babylon utopique dont le situationniste Constant bricolait les entrelacs dans les années 1960. L’artiste s’inscrit ainsi à son tour dans cette histoire artistique et politique, à sa manière, sobre et froide, fondée sur un sens très développé de la dérision et de la frustration.
Cette dernière est à son comble dans l’installation la plus immense de l’exposition, qui occupe une grande salle haute et profonde. Elle est, quand on la découvre, très attirante : des poutres aux longueurs et aux angles variés se croisent et soutiennent des cloisons découpées et percées. Tout cela peint dans les couleurs les plus chatoyantes – rouge, rose, jaune, vert vifs. Mais il est impossible d’aller plus loin que le seuil, car ces éléments sont disposés de telle sorte que l’on ne peut circuler entre eux. L’éden est interdit.