Disjonctions/Conjonctions
Disjonctions/Conjonctions
Par Hubert Besacier, 2018
À propos du projet commun des artistes pour l'exposition
Mengzhi Zheng et Boris Chouvellon sont deux artistes de la même génération. Si l'un est né en Chine et l'autre en France, tous deux se sont formés dans les écoles françaises. Tous deux sont passés par la Villa Arson à Nice. Pourtant c'est à l'occasion du projet Making Things Happen: Young Artists in Dialogue organisé par The Merchant House à Amsterdam qu'ils se sont rencontrés pour la première fois. Leur travail préparatoire a consisté à arpenter la ville et ses environs et à engager une première discussion sur leurs impressions. Cette discussion, suivie d'autres rencontres et de visites réciproques de leurs ateliers, a porté essentiellement sur l'architecture. Tous deux sont concernés par le sujet, bien que de façon sensiblement différente.
Leurs œuvres ne se distinguent pas seulement par le matériau employé, très léger dans le cas de Mengzhi, plutôt dense et consistant dans le cas des pièces de Boris qui vont souvent jusqu'au monumental. Mais finalement, la notion d'échelle a peu d'importance. Les deux démarches s'avèrent étonnamment complémentaires. Contrepoints de la fragilité et du figé, elle se rejoignent sur la notion d'abandon et de précarité. Pour l'un c'est l'esquisse du construit, pour l'autre le constat du construit en déshérence, ce qui s'est figé dans le paysage des activités humaines révolues. Le vent qui déchire les drapeaux de l'un traverse les frêles constructions de l'autre.
Dans la rencontre des deux artistes se croisent deux types de structures ouvertes : l'une semble tenir encore de l'ébauche, l'autre naît de l'entropie, des ravages du temps. Chez Mengzhi, la sculpture est un mouvement dynamique qui reste toujours en deçà d'une clôture sur l'accompli. Chez Boris nous sommes au delà de l'accompli. Dans le désarroi – au sens étymologique premier du terme – lorsque l'érigé se défait. Deux visages de la contingence qui s'ouvrent à des occurrences nouvelles. Là où Mengzhi fait du rebut la matière d'une partie de ses œuvres, Boris repart des ruines pour refonder les codes de sa sculpture. Chez Mengzhi s'affirme la vision optimiste de la construction transitoire. Chez Boris l'œuvre s'oriente vers la beauté d'un état d'entropie et de l'incomplétude. Tous deux travaillent avec le disjoint, le fragmentaire et se rejoignent en un point où la ruine et l'esquisse du construit se confondent. L'air circule dans la ruine et dans la construction ébauchée. Les deux artistes sont attirés par l'aérien. L'un par les grandes roues, les manèges de chaises volantes, ce qui est conçu pour tourner dans l'air, l'autre par l'édicule flottant.
À l'occasion de cette exposition, tous deux livrent leur propre vision de la ville d'Amsterdam. Boris conçoit une installation qui reprend les crochets de levage des maisons. On identifie immédiatement la citation, mais elle est également porteuse d'un certain malaise. Les crochets acérés enduits de matière dorée ne sont pas sans évoquer la boucherie, les portants en bois brûlés ont quelque chose d'obituaire et l'ensemble a des allures patibulaires tout en s'accordant de façon singulière avec le plafond baroque du salon (Les encombrants, 2018). Mengzhi, quant à lui, s'étonne de la raideur des escaliers des habitations de la ville et conçoit un trio de sculptures multicolores qui reprennent cette configuration, tout en faisant un clin d'œil à Gerrit Rietveld.
Les deux artistes s'accordent pour considérer le monde actuel tel qu'il est, avec une nécessité d'ouverture, de nomadisme. En ce sens on peut dire qu'ils ont une vision très réaliste de ce qu'est notre monde présent. La modernité n'est ni lisse, ni monolithique. Chez l'un comme chez l'autre, la condition humaine est présente en filigrane, elle y est perceptible de façon imparable.