Rémy Jacquier
Updated — 18/12/2024

Texte d'Anne Favier

Texte d'Anne Favier
Pour l'exposition Artifices, Galerie Ceysson & Bénétière, Saint-Étienne, 2020

Patiemment élaboré pendant les deux dernières années et présenté de manière inédite à la Galerie Ceysson & Bénétière, l’ensemble Artifices – constitué de trente dessins au fusain et pastel sec se déploie en redessinant l’espace d’exposition.

Une cimaise unique, comme une grande ligne oblique, divise la galerie soumise à un arrangement architectural. À l’endroit du décor, le panneau est tapissé sur trois registres des dessins qui se succèdent en un panorama continu dont l’amplitude déborde le champ visuel, faisant ainsi écho au protocole poïétique de l’ensemble graphique puisqu’il s’agissait pour l’artiste de produire autant de dessins que nécessaire pour recouvrir entièrement le mur de fond de son atelier.

Avec un minimum de matière – quelques grammes de poudre pigmentaire vivement colorée ou calcinée – et un minimum de moyens – l’intervention directe de la main sans outil graphique intermédiaire –, Rémy Jacquier parvient immédiatement à nous éblouir. Il ne s’agit en effet que de la poudre aux yeux : des « artifices d’artifices » selon ses propres termes. Entendons par là des illusions iconiques qui éclatent et scintillent en clair-obscur de mille feux, revêtant les atours fascinants de spectacles pyrotechniques imaginaires.

Les artifices sont tirés du bout des doigts, par délinéaments et tâtonnements, dans la nuit d’un sombre épiderme, une trame de fusain qui recouvre les surfaces richement colorées des papiers préalablement frottés de pigments. Nous remarquons en effet les empreintes indicielles de la danse tactile du dessinateur qui perfore par son geste le maillage de fusain et laisse transparaître par retrait des éclats des modulations colorées sous-jacentes. Le dessin ainsi travaillé par couches revêt une ambiguïté picturale. Ce processus de "défouissement" de la couleur assourdie d’un voile noir, rappelle aussi la précédente série des Phosphènes (2011). Pour l’ensemble Artifices, la main par contact direct dessine de lointains spectacles incandescents qui ouvrent diversement l’écran de fumée en circonvolutions flamboyantes, en floculations pastel, en trainées phosphorescentes, en efflorescences sourdes, en flammèches étincelantes… Telles des lucioles, de minuscules ponctuations blanches scintillent davantage encore : ce sont des étoilements qui découvrent le derme du papier gravé à la pointe sèche.

Mais parmi ces séduisants artifices, quelques-uns se révèlent être des représentations de déflagrations retravaillées à partir d’archives documentaires. Palestine, Allemagne, Irak, Israël, Syrie, précisent les titres à l’envers du décor. Ce sont d’autres poudres soufflées pour des désastres spectaculaires, tout autant effroyables que fascinants, des éruptions colorées qui ont même pu être transmises en direct à la télévision (Desert Storm, Bagdag, 1991). Dès lors, les faisceaux irradiants se muent potentiellement en bombardements dévastateurs, et nous voilà peut-être séduits par les qualités pyrophoriques1 des bombes aux phosphores sur la Syrie, la nuit.

Insoutenable équivocité : sur fond de ténèbres éclatent des beautés destructrices, et quelques papillonnements du bout des doigts font jaillir des splendeurs apocalyptiques.

Tels des vidéogrammes rétroéclairés, les dessins sont disposés en une séquence continue que le spectateur anime par son déplacement. On pense alors à des dispositifs cinétiques, tels les transparents de Carmontelle au XVIIIe siècle et autres lanternes magiques, ou encore à la Tapisserie de l’Apocalypse (XIVe siècle).

L’ensemble Artifices dessiné par Rémy Jacquier est somptueusement mélancolique. Si les délicates empreintes de mains pleines de pigments signalent bien l’origine de la création, elles virent au spectacle de la destruction : « this is the end ».2

  • — 1.

    Les recherches pyrotechniques à des fins divertissantes doivent leurs développements aux usages militaires.

  • — 2.

    This is the end est le titre du livre d’artiste reproduisant l’ensemble des dessins de la série Artifices. 100 exemplaires sont édités dont 10 en tirage de tête numérotés et signés avec un dessin original.

© Adagp, Paris