Roland Cognet
Updated — 12/11/2024

Texts

Étant donné l'État des choses

Par Colette Garraud
Catalogue de l'exposition Après la tempête, Domaine de Trévarez, Saint-Goazec, 2024

Sculpteur et naturellement philosophe

Par Jean-Paul Blanchet, 2023

La sculpture de Roland Cognet impose sa présence concrète, à l’image de l’arbre dont elle provient. La verticalité est sa dimension principale. Verticalité et mouvement forment un couple instable, paradoxal, sur lequel est construit l’émergence du vivant.

Se tenir debout est un enjeu crucial pour les bipèdes que nous sommes. Roland Cognet explore cette problématique avec une élégante simplicité, une économie de moyens qui va à l’essentiel sans insister sur les effets. Parce que l’important n’est pas la démonstration d’une virtuosité séduisante, mais la matérialisation au plus juste, de manière quasi conceptuelle, de ce mystère de l’équilibre ou plus précisément de la stabilité.

La sculpture est comme la peinture un moyen d’appropriation symbolique du monde. Dans ses versions premières, non figuratives, elle est formellement proche du signal ou du signe. Ainsi des alignements de pierres dressées ou de pieux plus ou moins aménagés, de ces empilements de cailloux, proches des formes naturelles, en phase avec les espaces qu’elles balisent. Structures néanmoins complexes, tant au niveau de leur conception, de leur élaboration ou de leur mise en place, parce que produits et supports d’une intelligence collective à la fois prosaïque et spirituelle, à la fois repère et mémoire, commémoration et échange.

Roland Cognet n’ignore aucune de ces dimensions. Son travail s’appuie sur des formes naturelles, souvent faiblement remodelées. Son impact physique, jouant de la masse, reste en-deçà du verbal et plus encore du récit. Il opère à la surface de la conscience, au niveau premier de la perception.

Les sculptures de Roland Cognet sont conçues sur le dépassement harmonieux du jeu de forces, de tensions qui les structurent. Elles miment les différentes dimensions du problème du vivant qui font que tout se tient, malgré les mouvements qui l’animent et le péril existentiel de la chute. Leurs stabilités vont de pair avec leurs fragilités.

Elles captent et restituent, à cause de leur naturalité sans fard, l’énergie potentielle et cachée de leur matériau : le bois le plus souvent, qui renvoie sur l’arbre figure totémique du vivant et parmi eux le séquoia (l’arbre géant).

Le bois/arbre l’emporte sur d’autres matériaux possibles pour des raisons qui se conjuguent : l’enfance familiale, son cadre de vie, sa disponibilité, son coût. Bois brut le plus souvent, des troncs écorcés, qu’il a masqué un temps sous une carapace, peau de métal, qui en moulait les formes à la manière d’une armure. Protection contre son délitement et/ou évocation de la terre dont le noyau incandescent est, comme dans la cheminée du volcan, cerclé par la croute terrestre qui canalise la lave ?

Roland Cognet coupe, écorce, entaille, émince, évide, séparant le cœur de l’aubier, laissant volontairement les traces de ces opérations visibles, comme le fait le tailleur de pirogue monoxyle, ou le scieur de long quand il débite une poutre.

Les titres sont descriptifs : « Cèdre du Saint Laurent », portique composé d’une colonne à châpiteau, d’une planche linteau et d’une autre assise en équerre, est une figure métaphorique de l’architecture dont elle mime les jeux d’équilibre et d’ouverture ; « Poutre et platane » le tronc grisé par le temps est associé par une ligature (amorce de la construction) à une poutre provenant d’une autre essence ; « Formes reliées » autre figure de l’assemblage ; « Table enneigée » décline un ensemble d’opérations depuis le noyau brut de l’arbre, en passant par la poutre, pour finir par la table peinte, recouverte d’un moulage granuleux de plâtre blanc, la neige, sous laquelle disparait la référence au bois et à l’arbre ; « En plein cœur», le cœur de l’arbre, se compose d’un tronçon de cèdre percé en son centre comme le sont souvent les vieux arbres, suspendu à un portique métallique, tel un balancier immobile. Quelques fois, sanctionnant l’intrusion limitée d’une couleur, le titre introduit l’esquisse de fiction : « L’ombre inconnue » la part de mystère qui niche dans toute création, « Neige et forme abstraite » : le positif du négatif de la pièce précédente.

Les masses blanches faite en plâtre de modelage (l’autre mode de la sculpture) présentes dans plusieurs de ses travaux ont pour effet, en plus d’introduire cette pointe de couleur (paradoxale puisque le blanc est le résultat de la neutralisation des couleurs), d’assouplir la rudesse des volumes.

Dans « Poutre », sculpture installée en extérieur, la pièce de bois couchée sur le dessus d’une plateforme métallique, en se rapprochant du minéral s’objective en outil.

En parallèle, Roland Cognet pratique depuis toujours, le dessin et la peinture. Ces travaux très peu montrés, sont plus qu’un jardin intime. Autonomes, ce ne sont pas des exercices préparatoires mais ils sont directement reliés à la vision développée dans sa sculpture.

Les Fusains, illustrent en les magnifiant les diverses opérations possibles qu’il imagine à partir d’un tronc d’arbre.

Entre sculpture et dessin, Trois plaques de contreplaquées (« Forme posée », « L’ombre est ronde », « La roche éclairée »), l’avers recouvert d’un noir de fumée fixé à la gomme, sont entaillées à la gouge, à la manière dont sont préparées les plaques de gravures en taille douce, dessinant en creux des troncs aménagés dans le même esprit que ceux reproduit dans ses fusains.

Les petites peintures, à rapprocher de ses maquettes, en complètent le sens, en les rabattant vers la dimension fictionnelle historiquement valorisée du tableau. On y retrouve des formes proches de ses sculptures qu’elles mettent en relation avec des espace naturels ou théâtralisés. Nombre de leurs titres « Conquête d’un espace » (ou de l’espace), « Ici ailleurs », rappellent que l’imaginaire est moteur de toute activité humaine.

Les scènes allégoriques ont plus nettement le rôle de contrepoint. Plus littéraires, elles dévoilent et articulent ses sources d’inspirations, sous la forme de paraboles. Ce sont des esquisses d’univers qui éclairent les arrières plans mentaux de son processus créatif. Construites comme des maquettes, elles associent dans un juste rapport d’équilibre, dans une dynamique immobile, des signes géométriques symboliques de la science et de la raison à des fragments de nature, voir à des animaux stylisés, porteurs totémiques de l’énergie vitale (relation de l’animé et l’inanimé). Leurs titres sont ici encore explicites : « Le paysage est une architecture » (sculpture et architecture ayant depuis toujours partie liée), « L’ombre verte » (clin d’œil à la nature), « les formes sont reliées » (le monde est une construction), « espace suspendu », « ici, ailleurs », « colline et abstraction ».

Comme il faut habituellement pour assoir une analyse, trouver des rapprochements dans l’histoire de l’art, on pourrait dire que, si Carl Andre a influencé le travail de sculpture de Roland Cognet ou Pompon ces formes animalières, les tableaux de Giorgio De Chirico inspirent ces maquettes.

Roland Cognet, his work

By Caroline Perrin, 2015 — Translated by Lucy Pons (excerpt)

Éloge de l'arbre

Par Colette Garraud
Catalogue de l'exposition Souvent les arbres se déplacent, Manoir de Kernault, 2013