Texte de Jean-Louis Roux
Texte de Jean-Louis Roux, Les Affiches, février 2011
Pour l'exposition L'endroit du décor, Galerie Ka & Nao, Grenoble
Le crayon a bonne mine. Comme un parfum de préau d'école, une ressouvenance de culottes courtes... Le crayon de couleur nous rattache à l'enfance ; il active immanquablement la mémoire de nos vertes années. Sylvie Sauvageon dessine aux crayons de couleur ; et nous voilà tout attendris. Mais ce qu'elle fait de ses crayons nous sort bien vite de notre régression passagère. Ce qu'elle en fait nous sidère même carrément...
Sur de vastes lés de papier, l'artiste lyonnaise dessine à l'échelle 1 ce qu'elle a vu chez des amis : une bibliothèque avec tous ses livres, dont la couverture (illustration et typographie) est reproduite fidèlement ; un salon aux allures de cabinet de curiosité, avec ses objets improbables et ses images plus ou moins pieuses, son amoncellement de coussins fantaisistes sur le canapé et le lampadaire légèrement vieillot juste à côté ; et puis un portrait de jeune femme dans son cadre en bois, accroché contre un mur... dont l'artiste a recopié avec une patience de bénédictin (elle dit d'ailleurs qu'elle se verrait bien moine copiste) tous les motifs répétitifs du vénérable papier peint.
Le crayon de couleur a beau être un outil droit venu de l'enfance, ce qu'en fait Sylvie Sauvageon n'a cependant rien d'enfantin. Ces vastes vues frontales, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur, ne visent pas véritablement au trompe-l'œil. Le crayonnage ne cherche pas à se dissimuler et la facture se refuse à la virtuosité - le rendu est même parfois légèrement rudimentaire, ce qui ajoute au charme de l'œuvre. On songe ici à cette série de petits dessins new-yorkais, gros plans sur des détails de la vie quotidienne, images légèrement décalées dont le souci descriptif frôle l'insolite. En réalité, Sylvie Sauvageon s'attaque à l'apparence des choses, leur évidence présupposée, ce que l'artiste nomme joliment "l'endroit du décor".
Tout ce qui est devant nous, qui nous renvoie son opacité et contre lequel nous n'en finissons pas de buter.