Didier Tallagrand
Updated — 15/07/2025

Discussion

Discussion avec Christine Blanchet, historienne de l'art, juillet 2006

Sites et situations

Christine Blanchet : D'où vient ce nom île des faisans ?

Didier Tallagrand : L'île des faisans tient son nom d'une coutume locale et ancestrale, les pêcheurs s'y réunissaient pour conclure des faceries et plus particulierement des accords sur la pêche au saumon.

Quels documents avez vous consultés ?

Bien sûr, il existe des documents imprimés mais également un corpus d'images anciennes et contemporaines sur lesquelles certaines thèses historiques s'appuient. Si vous visitez le musée de I'île, vous verrez des moulages d'ossements fossiles qui ont été expertisés comme des empreintes de faisans préhistoriques. Nous nous reposons là sur les travaux des paléontologues.

Existe-t-il des cartes ?

Les cartes font partie des sources imprimées nous permettant de situer le contexte géographique de l'île et délimiter ses frontières. Car l'existence de cette île est à la fois entre deux territoires, entre deux fleuves...

Deux moments d'espaces

Effectivement, un double semble se révéler ?

L'île a une sœur jumelle : l'une frontalière entre deux départements et l'autre entre deux pays, positionnées au milieu de fleuves, leur superficie est identique, homonyme et homothétique...

Logique de l'enclavement des territoires

Des recherches botaniques ont éte accomplies sur ces milieux ? Dans quelles limites ?

Les îles des fleuves ont la particularité de déployer une richesse biologique unique. Régulièrement inondées par les crues du fleuve, les graines transportées par les courants s'y fixent et germent très facilement, créant ainsi un écosystème insulaire autonome, un isolat, lequel si on en fait l'inventaire est le produit de toutes les variétés végétales traversées par le feuve depuis sa source. Les plantes trouvent ici des conditions idéales de croissance et s'y développent avec enthousiasme et un débordement presque féérique.

Logique de l'extension

Un scientifique peut-il rêver une île ?

Évidemment ! D'ailleurs, pour lui, c'est la seule qui ait une véritable existence.

Vous avancez une théorie inspirée de Goethe ?

C'est l'histoire dans l'histoire. En 1784, Goethe voyage en Italie pour rechercher son inspiration et il découvre une île où sont amassés des milliers de faisans. Vous connaissez le début du rêve : "J'étais dans un canot qui abordait une île verdoyante célèbre pour ses merveilleux faisans..." Il est si émerveillé par les volatiles qu'il retrouve son inspiration poétique. C'est la troisième île, celle du rêve...

La réalité et ses possibles

Décrivez-nous ce lieu.

C'est un territoire sur lequel pousse une végétation dense et luxuriante, où les oiseaux peuvent se réfugier. C'est aussi un refuge de pirates, l'île du secret et du trésor... C'est ici qu'en 1660 la France et l'Espagne ont signé le traité de la Paix des Pyrénées. Ensuite, il y eut les fiançailles de Louis XIV, Roi de France, avec la Sérénissime infante Marie-Thérèse d'Autriche, fille de Phillipe IV, Roi d'Espagne. Et puis le drame... Vélasquez qui réalise les décors du bâtiment des cérémonies, harassé par la chaleur et l'atmosphère pesante de I'île, peint en maillot de bain, attrape froid et meurt quelques temps après.

Le récit

Une histoire sous-tend vos recherches, est-ce le mythe qui vous active ?

L'affabulation m'intéresse car au final c'est elle qui révèle la part de vérité du récit. Au regardeur d'être attentif. Le récit n'est pas réellement confisqué, il est mis en doute dans l'authenticité de l'histoire qu'il narre.

L'inactuel et ses indices.

Ce que nous voyons en réalité, parle en fait d'autre chose.

Oui et non ! Ces éléments désignent I'île des faisans comme un territoire possible et en même temps ils n'apportent pas la preuve de son existence, de sa réalité. Nous sommes entre deux mondes, reste à savoir de quoi nous parlons ?

Les pièces à convictions

De quoi s'agit-il exactement, quels dispositifs sont mis en œuvre ?

Il y a une malle, un coffre de pirate, un perchoir incertain, des couveuses lumineuses, quelques statues récupérées, des panneaux d'informations...

Les navigations

Comment votre axe de recherche s'est-il développé ?

Autour d'un projet improbable mais réel avec des projections de collaborations. Pour pallier la dégradation de I'île, nous avons lancé un appel à projet afin de revitaliser mémoire et environnement qui s'articule sur la revalorisation des volatiles habitant I'île et de leur mode de vie. Le projet s'inscrit tout en douceur sur le site, comme un entre deux, entre air et eau, entre mots et choses.

Les images de surface

Une des études pratiquées sur le terrain montre des images de forêt tropicale, comme des écrans verdoyants.

Ce sont des photographies du site, des écrans de verdure tirés par un jour de brume automnale. Luxuriantes ef mystérieuses, encadrées et mises sous verre, ce sont des preuves exotiques très XIXe siècle.

Une étude postérieure est argumentée par des images qui de verdoyantes deviennent chatoyantes, presque inquiétantes...

Il s'agit d'un inventaire non exhaustif des différents aménagements, constructions, ouvrages d'art, présents sur le site. Ces images sont irradiées par la présence des centrales nucléaires toutes proches, mais que l'on ne voit pas.

La traversée du paysage

Un parcours avec le public sur le terrain a été mis en place, qui vise à une inscription physique darts la réalité du lieu ?

C'est un parcours dans la topographie de l'île, dans la réalité du terrain, une expérience spatiale singulière, une traversée physique du lieu avec comme preuve de cette réalité la réciprocité du naturel et du culturel, de l'idéal et du circonstanciel. La conscience du lieu prend alors forme dans cette juxtaposition fragmentaire de l'image et de la réalité.

La première des réactions appelle à crier au scandale, à l'escroquerie...

En effet, c'est sans doute ce qui fait l'intérêt du dispositif, la tension, l'attention et l'intention...

Où vous situez vous ?

En tant qu'artiste ?