Max Bondu
Updated — 04/07/2024

Scènes de vie domestique

Scènes de vie domestique
Par Mathieu Loctin, 2010

En 2010, avec Parquet chêne, 1964, Maxime Bondu transforme le sol de la galerie DMA à Rennes en site de fouilles archéologiques. En attaquant directement le sol de l’espace d’exposition, dans un geste rappelant l’installation intitulée You d’Urs Fischer (Gavin Brown Gallery, 2007), il mettait à jour les différentes étapes du recouvrement de son sol. Si la démarche de l’artiste suisse tenait du geste de démolition, celle de Maxime Bondu, plus méthodique, relève davantage de la pratique de l’archéologue, cherchant à relever dans le sol les différentes strates matérielles et temporelles qui composent un lieu. L’invocation de la figure de Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) dans son œuvre Anmerkungen uber die baukunst der alten paraît alors limpide, mais ici dans une déclination plus littérale et littéraire. En effet, les recherches du théoricien allemand sur l’Antiquité firent de lui le penseur du mouvement néo-classique au XVIIIe siècle mais aussi le fondateur de l’histoire de l’art et de l’archéologie en tant que disciplines modernes. Maxime Bondu décide de réaliser un tapis ayant pour motif la page titre de son ouvrage Remarques sur l’architecture des anciens (Anmerkungen über die Baukunst der Alten, 1762) et de faire de cette page "digitized by Google" un élément domestique, participant au décor de la Villa. Au cours de son travail et de sa réflexion, l’artiste s’est souvent posé la question des surfaces d’inscription de nos images contemporaines, désormais virtualisées et numérisées. Déjà dans La Bataille de Qal’ atja ard (2008), il recouvrait un pan de mur de la représentation, faite par un jeu vidéo, de ladite bataille. En bois et plâtre peint, l’œuvre prenait la forme d’un bas-relief (vecteur de la transmission de l’Histoire à l’Antiquité) et s’interrogeait sur le poids des représentations virtuelles d’événements historiques, dans un savant télescopage temporel, où high et low se fondaient sur une même surface. Ici, le tapis se fait support d’une image numérisée, rendant indistinctes et poreuses les frontières entre art, mobilier et archive.

À la révélation de la mémoire enfouie d’un lieu (Parquet chêne, 1964) succède désormais avec La Bibliothèque, son recouvrement. L’action est désormais celle d’un bâtisseur (architecte ou sculpteur) désireux de créer un nouvel espace au sein d’un environnement donné. Dans une des salles de la Villa Cameline, apparaît donc une bibliothèque, élément de mobilier classique de l’habitat domestique. Pièce maîtresse des grandes demeures, elle témoigne d’un goût et de connaissances mais aussi d’une forme d’apparat culturel. Ici plus que d’une bibliothèque, nous avons affaire à son essence, à sa version générique, car délibérément vidée de son contenu et de l’objet de sa construction, elle semble en perdre la fonction. De volume dévolu au rangement et à l’organisation de livres, elle assume ici un devenir sculptural. La structure de bois altère notre appréhension de l’espace, et renvoit à une esthétique minimaliste ; la figure de Carl Andre étant fréquemment convoquée pour ses œuvres au sol. De demeure désaffectée, dépossédée de son statut originel de lieu d’habitation, la Villa semble regagner, un temps, par ces deux actions conjuguées, un semblant de vie domestique. Placés à dessein dans deux pièces différentes, la bibliothèque – privée des livres – et le tapis – arborant comme motif la couverture numérisée d’un livre – peuvent paraître, au premier abord, comme le constat implacable et désabusé de l’avenir de l’édition et de la diffusion des ouvrages. En opérant un tel rapprochement, ces propositions semblent assujetties à un discours et c’est aussi oublier de les considérer comme deux œuvres distinctes, deux manières d’investir un lieu et de jouer de ses spécificités mais aussi de brouiller les distinctions trop nettes entre art et mobilier, œuvre et décor.