Sous les tropismes du concept
Sous les tropismes du concept
Par Judicaël Lavrador
Publié dans Les enfants du Sabbat 14, Collection mes pas à faire au creux de l'enfer
Coédition Le Creux de l'Enfer, Thiers, École supérieure d'art de Clermont Métropole, École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, 2013
S'il y a un tropisme conceptuel dans l'art contemporain, qui facilite souvent sa caricature en création pure, sans objets en dur, et pleine - trop pleine - d'idées dématérialisées, les œuvres de Maxime Lamarche, elles, rappellent qu'il y a aussi, au même endroit, toute la place pour une intelligence de la main et du bricolage. Laquelle s'applique à l'endroit le plus spectaculaire du divertissement et de la culture : au cinéma et aux objets qu'il met en scène et élève au rang d'objets mythiques.
Parmi eux la voiture, mais pas n'importe laquelle, celle dont Anthony Perkins, tueur psychopathe, doit se débarrasser dans Psychose. La scène est culte : dans les eaux noires d'un étang, la voiture de Marion, la victime, rechigne à couler à pic. Ce suspens, Maxime Lamarche le rejoue et l'étire en longueur avec sa propre héroïne, une automobile, une Ford - comme dans le film -, mise à l'eau dans la Saône au petit matin (Object in mirror are closer than they appear). Dans l'obscurité elle flotte, miraculeusement. Mais le jour se lève et finit par révéler discrètement la supercherie, autrement dit : que la carrosserie a été tranchée longitudinalement, qu'elle repose sur des flotteurs, des fûts, qui la maintiennent à flot comme un radeau. Radeau du cinéma, industrie culturelle dont les plus belles heures sont derrière elle, et puis le radeau de l'industrie automobile, qui boit la tasse en période de crise. La sculpture, (Midnightswim) montrée l'an dernier dans le cadre du "Voyage à Nantes", réactive autant qu'elle bloque l'imaginaire fier et conquérant, motorisé et rutilant, que véhiculait le cinéma durant la période faste des Trentes Glorieuses.
Il a des ailes, hélas il n'a pas d'hélices - titre emprunté significativement à une réplique de La Grande Vadrouille - cloue au sol le mythe américain de la conquête à cheval mécanique : un moteur de moto - celle que chevauche Tom Cruise dans Top Gun - est encastré dans une armature de groupe électrogène reconstruit. Immobilisée donc, la machine alimente, une fois allumée, un projecteur qui braquera toute sa lumière sur elle et rien que sur elle, cette machine célibataire dont toute la puissante, fumeuse et bruyante énergie ne se dépense qu'en pure perte, qu'en pur narcissisme.
Testarosso est un autre rejeton de cette lignée paradoxale d'objets promis à un voyage fulgurant et réduits à l'immobilité maladroite des empotés. Recouvert d'un rouge Ferrari laqué, brillant, c'est une flying case sur roulettes, une malle lourde et bancale, qui, une fois dépliés ses nombreux rangements, a du mal à supporter son propre poids. Trop illustratif ? Non, car l'objet est aussi une sculpture géométrique qui démantibule et déstructure la forme du tableau selon le procédé de mise à plat des moyens de la peinture qu'opérait Support(s)/Surface(s). Autrement dit, le panneau supérieur de la malle peut s'accrocher au mur où il prend alors l'aspect d'un monochrome rouge, laissant à découvert la sculpture et les illusions qu'elle nourrissait. Pirouette conceptuelle que cette autre suggestion de présentation ? Non plus, car le privilège de ceux, comme Maxime Lamarche, qui fabriquent tout de A à Z, récupèrent des matériaux usagers, greffent des objets sur d'autres, hybrident l'usage qui peut en être fait - même en rêve. C'est leur apanage que de varier les perspectives de lecture de leurs œuvres sans que cela paraisse poussif ou artificiel : le spectateur peut éprouver, toucher, s'essayer à ces dispositifs hybrides.