Texte de Charles Juliet
Au long de son parcours de photographe, Rajak Ohanian n'a eu qu'un seul sujet, un seul thème : l'être humain, le visage humain. Trois siècles avant nous, Pascal pensait que "une seule chose intéresse l'homme, c'est l'homme".
Très tôt mêlé à l'aventure de Roger Planchon, Rajak a réalisé des portraits de gens de théâtre : Planchon, Dasté, Chéreau... Il a également photographié de nombreux écrivains, peintres, musiciens... Mais il ne s'est pas cantonné au seul milieu des artistes qu'il fréquentait. Il a réalisé un reportage sur les gitans, et en Algérie, sur des artisans ou des personnes significatives qu'il a pu rencontrer.
Il a passé des mois à Sainte-Colombe, un village bourguignon de 44 habitants. Le travail qu'il a accompli en ce lieu a été remarqué. Au point qu'on a vu dans ses portraits comme un reportage ethnographique sur la France profonde.
Plus tard, il s'est rendu à Alep pour tenter de retrouver l'orphelinat où son père, survivant du génocide arménien, avait été accueilli. Les clichés pris lors de ce séjour ont donné lieu à une exposition qu'accompagnaient en surimpression des citations d'écrivains ayant vécu l'expérience de l'exil.
Plus tard encore, il a voulu retourner à Alep, cette ville dans laquelle, au cours du XXe siècle, avaient afflué bien des hommes et des femmes qui savaient trouver là un refuge. Au cours des ans, ces êtres démunis de tout, ont incisé sur les arbres près desquels ils passaient, un signe qui témoignerait qu'ils avaient existé. Ces signes, ces lettres, ces figures, sont désormais indéchiffrables, mais ils nous émeuvent encore. Ils nous rappellent ce besoin qu'ont les hommes de laisser une trace de leur existence, de survivre si peu que ce soit dans la pensée de ceux qui leur succèdent. Rajak est de ceux qui contribuent à perpétuer leur mémoire.
Est-ce parce qu'il est le descendant d'une famille, d'un peuple qu'on a voulu faire disparaître, qu'il a choisi de se vouer à la photographie, ce médium qui tente de faire échec au temps ?
Il semble que la cohérence, la rigueur de son œuvre n'ont pu naître que d'un besoin venu d'au-delà de sa personne.