Delphine Gigoux-Martin
Updated — 03/03/2022

Aster

Aster, 2021
Texte de François Coadou, d'après un entretien avec Delphine Gigoux-Martin

Est-ce l'effet des contraintes techniques ? Souvent les barrages hydro-électriques adoptent la forme d'un coquillage. C'est tout particulièrement vrai pour celui de Saint-Étienne-Cantalès. Un coquillage considérablement agrandi, certes. Tant et si bien qu'on pourrait en perdre le sentiment de leur ressemblance. Mais tout de même : comme si le courant de la rivière qui le charriait – car n'existe-t-il pas, on l'oublie souvent, des coquillages d'eau douce ? – l'avait un jour, par hasard, redressé et planté là. Fût-ce d'une manière involontaire, l'architecture, ici l'artefact, par sa forme même, entre en jeu avec l'élément naturel dont le barrage tire l'énergie, avec ce dont elle procède et qu'elle crée : de l'eau, une rivière, un lac.

C'est ce jeu entre l'artificiel et le naturel, ce jeu aussi entre les échelles, du très petit (le coquillage) au très grand (le barrage) que le présent projet entend explorer et prolonger.

Du coquillage, de la rivière et du lac, on passera cela dit – par un premier de ces déplacements possibles qu'offre l'imaginaire – à ce but ultime pour toute rivière qu'est la mer, et aux étoiles de mer qui s'y trouvent. Car cela permettra aussi un second déplacement : celui qui va de l'étoile de mer à l'étoile tout court, celle qui habite cette fois le ciel.

Il s'agira donc de fixer sur la coquille du barrage des étoiles de mer en céramique émaillée. Sous l'éclat du soleil, le jour, intriguant l'œil de loin, elles brilleront et dessineront une ou des constellations. Comme si le barrage, tout à coup, pouvait assumer le rôle de l'élément qui l'entoure et dans lequel il s'enchâsse : l'eau miroir. Comme si le ciel s'y reflétait. Sauf que – et c'est le propre de tout miroir – l'image est en quelque sorte inversée. Les étoiles, c'est-à-dire la nuit, s'y reflètent le jour.

Mais que s'y passera-t-il donc la nuit, ou à ces moments privilégiés de l'aurore et du crépuscule ? Lorsque le soleil ne brille plus, tout devra-t-il se taire ? Les constellations, ces lignes par lesquelles l'œil de l'être humain a relié les étoiles, dessinent volontiers un bestiaire : le taureau, le cancer, le capricorne. L'être humain a projeté dans le ciel au-dessus de sa tête, l'image des animaux qu'il fréquentait ici-bas. Le barrage, voûte céleste, pourrait de même devenir écran, et accueillir des dessins projetés, des animations d'animaux. Ceux qui sortent du bois, de l'environnement qui entoure le barrage, la rivière et le lac à ces heures-là.

Les sentiers déjà existants et les belvédères serviront de points privilégiés pour assister à ce spectacle. Comme si, dans le cadre nocturne, le barrage pouvait aussi se transformer en cinéma en plein air. Ou en paroi d'une grotte préhistorique, à l'intérieur de laquelle, à la lumière de la lueur vacillante des torches, Werner Herzog se plaisait à imaginer, dans le film qu'il a consacré il y a quelques années à la Grotte Chauvet, que les peintures, s'animant, avaient anticipé le cinématographe.

On l'aura compris : c'est aussi ce jeu, ou cette coïncidence, entre le primitif et le technologique, l'imaginaire et la science qui intéresse ici. Réconcilier les éléments, le macrocosme et le microcosme, le naturel et l'artificiel, tel serait en somme l'objectif de cette installation.

N'était-ce pas le rêve, peut-être, des bâtisseurs du barrage, ces réfugiés espagnols et ces résistants ? Une société réconciliée, tournée vers un avenir de bonheur, à construire. L'artificiel, pour cela, ne s'oppose pas toujours au naturel. La science ne s'oppose pas toujours à l'imaginaire. C'est l'un des enjeux cruciaux de notre époque que de s'en souvenir et de s'y projeter.