Devoir de mémoire
Devoir de mémoire, par Marc Desgrandchamps
À propos de l'exposition du même titre à La Chaufferie, Strasbourg, 2018
Gaëlle Foray assemble des éléments d'origines diverses, essentiellement des photos argentiques avec des matériaux solides tels que pierres, fragments de béton, plaques de goudron ou polystyrène, tandis que Jean-Xavier Renaud représente différents types de scènes sur du papier ou de la toile.
Un amateur de classement ou de définition dirait que l'une travaille dans le registre du volume et l'autre dans le registre de la peinture. Le jugement de cet amateur éluderait le fait que l'on ne peut approcher ces œuvres avec les lunettes d'un regard réductionniste et cloisonné.
Cette exposition montre que les œuvres présentées s'organisent en un réseau de transversalités où circulent des informations visuelles et mentales qui les rassemblent en un espace que l'on peut qualifier d'environnemental, à la manière d'une installation. Le temps de présentation relie les œuvres au sein de cet ensemble, dépassant ainsi leur spécificité ou leur autonomie.
Il y a ici la volonté de réaliser un partage d'expérience au sein d'un territoire, celui de l'exposition, et dans l'écho d'autres territoires géographiques ou psychiques, terrains des expériences quotidiennes, laborieuses, politiques, mémorielles vécues par les deux artistes. Vécues et retransmises sous les formes diverses qu'ils élaborent dans le cadre de leur pratique, au moyen d'une observation attentive et critique de la réalité.
Cette critique, parfois féroce, n'est pas le produit de certitudes dogmatiques bétonnées sur un fond idéologique, ni à l'inverse motivée par un opportunisme fréquent chez les belles âmes qui posent en illustrant les bonnes causes. Elle est au contraire innervée et stimulée par leur participation active à l'existence de la collectivité artistique et sociale du lieu où ils ont choisi de vivre, une petite ville de l'Ain située sur un plateau du Jura.
Elle résonne également bien au-delà de cet ancrage, le réchauffement climatique tel que dépeint sur une toile de Jean-Xavier Renaud étant un état que chacun imagine ou éprouve, les deux artistes s'étant par ricochet opposés à l'implantation de canons à neige sur les pentes de leur commune, effet cocasse et local de ce grand bouleversement.
Ces œuvres montrent qu'il n'existe pas de micro faits limités à un quelconque particularisme et que dans notre monde tout se relie. Elles le montrent avec beaucoup d'ironie, on pourrait d'ailleurs parler à leur propos « d'ironic fantasy », la fantasy s'identifiant à la puissance d'évocation suscitée par la manière dont ils déplacent les formes.
Chez Gaëlle Foray il y a une économie de moyen, une sorte d'arte povera archéologique dans la récupération qu'elle fait de photos issues d'albums de famille dont elle découpe et isole des figures. Ces figures sont ensuite collées sur différents matériaux, d'origine industrielle ou naturelle, qui leur servent de support et de cadre de vie. Par exemple dans « Le Jardin de la vieille », le jardin se réduit à une plaque de bitume ornée de cristaux et cailloux figurant des plantes, petit bonheur privé où se tient confortablement assise et souriante la propriétaire du lieu. Dans ses travaux plus récents, les éléments photographiques sont plus rares, remplacés par des figurines ou objets qui deviennent les métaphores de représentations poétiques et discrètes évoquant des paysages ou un monde animal menacé.
L'ironie se manifeste aussi dans la manière dont Jean-Xavier Renaud restitue les manifestations sécuritaires d'un univers pavillonnaire et inquiet. Les « Voisins vigilants » en sont l'expression la plus remarquable, l'œil grand ouvert qui leur sert de sigle rappelant une sorte de Big Brother de quartier. Ce sigle noir sur fond jaune est repris au centre d'une aquarelle où il se détache sur le vert émeraude d'un arbre témoin impuissant devant ce déchainement voyeuriste.
Jean-Xavier Renaud est avant tout un peintre. Dans ses tableaux la forme se mêle au sujet, ce dernier étant le moteur de la représentation, mais elle n'est jamais en retrait. Elle s'autonomise souvent en de vastes compositions paysagères dont certains passages sont proches de l'abstraction. De même chez Gaëlle Foray, chaque pièce existe comme matière et objet avant d'être la projection d'une représentation, d'une histoire suggérée mais non dite.
Cette histoire, cette sédimentation qui nourrit nos mémoires et souvenirs, fonde le terrain sur lequel s'édifie cette exposition. Elle sourd tout au long des œuvres, de manière diffuse, même si parfois elle peut résonner comme un larsen distordu.
C'est le cas sur une aquarelle de Jean-Xavier Renaud où quelques personnes se recueillent sur la dépouille de Léon Trotski, lequel comme chacun sait fut assassiné par un nervi de Staline. Son oraison funèbre écrite en larges lettres semble l'ignorer et se contente de déplorer le fait qu'il « faisait trop d'ski ».