Micronarrations - Keiko Machida
Micronarrations - Keiko Machida, portrait en relief en voix et odeurs
Par Hélène Mariéthoz, 2011
La première fois que j'ai rencontré Keiko Machida, c'était sa voix. Des comédiens vêtus de blanc récitaient des textes. Et parmi ces récits enchevêtrés j'entendais son « entre chien et loup ». C'était en 2008. La même année, à l'accrochage des travaux de fin d'année de la HEAD, de grandes huiles accrochent le regard. Elles semblent immenses, avec des aplats blancs pour mieux circuler d'une couleur à l'autre, d'un chat à une forêt, un arbre, des jeux d'enfants qui sortent de la toile dans une troisième dimension réelle ou fantasmée et qui laissent une impression étrange de familier et d'inconnu, de malicieux et désolé. Keiko avait remporté avec elles les félicitations du jury.
En 2009, à la Villa Bernasconi, sa voix à nouveau. Elle en rit aujourd'hui : « c'était un exercice d'école ». Qu'est-ce qui motive une Japonaise d'Osaka à suivre un cours d'écriture dans une langue qu'elle pratique depuis cinq ans seulement ? L'année suivante, elle habite le grenier de la maison pour des plantations picturales, l'envahit de couleurs et de champignons luminescents. On reconnaît encore cette manière qu'elle a de poser les traits sans les ancrer et de les faire surgir de la toile. On se demande comment l'absence de perspective peut créer de tels volumes. Puis on découvre la série des fusains et on s'étonne de leur lumière. C'est du noir pourtant. Peu de blanc. Dans ces dessins-parcs conçus comme un reportage photographique noir et blanc, Keiko Machida trace les contours de ses souvenirs.
Enfant, elle habitait ces aires de jeu. Quand elle y retourne maintenant, elle les trouve désaffectées, enserrées entre des barres d'immeubles, désertées par les enfants. Alors elle collecte les images, les mélange. Elle parle du Japon, de la baisse de natalité qui explique l'abandon de ces squares, des changements de coutumes, de l'essor de la construction. On entend son intérêt pour les différences ethno culturelles qui ont fait l'objet de son mémoire à Kobé, en même temps qu'on retrouve sa propre enfance dans ces paysages hantés, troués de lumière comme des puits intérieurs qu'on habille d'enfants de notre âge, de jeux inventés et de masques.
Ses dessins ont la puissance de cette mémoire : le trait incisif de la réalité et les teintes estompées des souvenirs. Ces balançoires, tourniquets, ces barres où on exerçait le cochon pendu, simplement posés sur l'asphalte, entourés de grillage, de bâtiments sans portes et striés d'arbres sans feuilles et sans racines offrent le cadre nu d'un castelet où viennent se mettre en scène nos enfances.
En 2011, Keiko Machida obtient le prix de dessin. Elle vient de recevoir la Bourse d'aide à la production du Fonds cantonal d'art contemporain et se tourne déjà vers la céramique. En réalité, l'artiste y avait déjà touché auparavant et avait présenté des moutons revêtus de tricots blancs qui les enchaînaient les uns aux autres. Mais depuis, elle s'était consacrée à la peinture et au dessin.
Comment comprendre qu'au moment où le dessin lui offre une reconnaissance l'artiste se tourne vers un média malgré tout encore neuf ? Bien sûr, on a remarqué que ses épures produisent des volumes, on entend que l'approche sensuelle de la matière l'attire, mais quand elle dit de sa démarche « Je ramasse des éléments physiques comme l'odeur, la touche et la lumière... » on a enfin entre les mains une clé de la réalité qu'elle offre à percevoir.
Odeur, touche, lumière sont les matériaux des porcelaines présentées à la salle Crosnier. Ces enfants-animaux, bestiaires masqués, animal sans tête, cygne, renard, raton-laveur, se mêlent aux visages d'enfants tirés de la mythologie personnelle de l'artiste. Croqués à l'aquarelle, façonnés dans la terre comme ils seraient dessinés sur le papier - intuitivement, rapidement - ils sont cuits, puis frottés, effacés, redessinés, pigmentés et cuits à nouveau. Le traitement que fait Keiko sous l'émail, les lignes qu'elle inscrit après le biscuitage traitent la porcelaine comme une feuille en volumétrie. Les creux pour les noirs, la brillance pour la lumière, la posture pour expression et en guise d'odeur la voix de ces petits personnages qui de leur socle se racontent des micro narrations.