Karst, 2012
Karst, 2012
Vues de l'exposition, Galerie Clark, Montréal
Texte d'Anne-Marie St-Jean Aubre, 2012
"La pratique de Mathias Tujague, qui mêle l'installation et la production d'objets sculpturaux, se dirige résolument vers la création de situations et d'environnements à expérimenter. Afin d'attirer l'attention sur des objets du quotidien somme toute banals, il les reproduit en misant sur des changements de matériaux et d'échelle qui, tout en leur soutirant leur fonctionnalité, leur donne une présence différente. Bien que le faire soit très important dans sa démarche, très peu de traces témoignent du côté artisanal de ses œuvres qui paraissent réalisées de manière industrielle. Invité dans le cadre de la première résidence croisée entre CLARK et l'association Zébra3/BuySellf de Bordeaux, Mathias Tujague a développé KARST, un projet qui témoigne de sa nouvelle approche, spécialement conçu pour la petite galerie.
KARST est inspiré par la grotte de Naïca, milieu naturel découvert en 2000 par des mineurs d'une petite ville du Méxique. Située à 300 mètres sous une montagne, au centre d'une région désertique, la grotte contient les plus grands cristaux de gypse jamais vus, dont certains font près de treize mètres de long. Plusieurs personnes l'ont rapprochée du lieu décrit par Jules Verne dans son roman de science-fiction Voyage au centre de la terre (1867), parallèle qui ajoute à son côté mystérieux.
Souhaitant évoquer le contenant – la grotte – par son contenu – les cristaux, et ce, sans modifier les paramètres de la salle, Tujague mise sur l'installation de structures hexagonales irrégulières qui traversent la galerie et obligent le spectateur à adopter, pour se déplacer, le même type d'attitude que s'il se trouvait réellement dans la grotte : mesurer l'espace qui se trouve entre les structures afin d'évaluer s'il peut ou non s'y faufiler, se pencher, etc.
Puisqu'il est impossible de rester très longtemps à Naïca en raison du taux d'humidité et de la chaleur qui en rend le climat presque insupportable, tout un système d'enregistrement et de captation de données a dû être développé pour étudier ce milieu et en maintenir une trace virtuelle. Cet aspect fait écho au processus de l'artiste, qui navigue constamment entre le virtuel et le réel, chacun de ses projets comprenant toujours une étape de modélisation 3D. C'est le défi de transposer, dans l'espace réel de la galerie, la structure élaborée de manière virtuelle en acceptant les pertes d'informations et les modifications que ce passage implique, qui nourrit sa démarche. Une épuration et une simplification se jouent à ce stade de la production, où seules les caractéristiques essentielles des formes sont maintenues. En résulte un environnement qui paraît étrangement cartésien alors qu'aucune des structures qu'il contient n'est identique. Avec KARST, Tujague répond de manière poétique au problème de conservation de cette grotte en permettant en quelque sorte au spectateur d'en faire l'expérience, bien que les différentes transpositions qu'il fait subir au site naturel introduisent évidemment un décalage entre l'original et sa reproduction."