Pascal Poulain
Updated — 21/02/2018

Entretien avec Pascal Poulain par Anne-Laure Even

Entretien avec Pascal Poulain par Anne-Laure Even
À l'occasion de l'exposition Show Room du Lavotopic tour, Project Room portable de Nicolas Floc'h, Boutique Courtesy, Paris, 2001

Tu as récupéré une compilation de pop music, distribuée par une boîte d'Intérim comme cadeau aux personnes qui viennent de trouver un job... Quels sont tes titres préférés ?

Cette compilation réunit uniquement des titres, des chansons, évoquant le travail et un certain rapport au travail. Si dans le contexte d'exposition on oublie la boîte d'intérim qui l'a en partie produite, alors le spectateur est face à 17 chansons chargées de revendications.

En fait, les chansons sont toutes très pop, discos, et donc très dansantes, elles apparaissent vraiment comme des chansons de discothèques banalisées par la répétition. Les plus beaux morceaux sont des textes de black dont la musique disco résonne par un contraste incroyable : elles sont en effet produites pour danser de façon happy et pourtant elles sont d'une impressionnante tristesse mélancolique. Cette compilation m'intéresse seulement pour l'idée de collection, et la simple réunion de textes faisant à la fois l'apologie et la critique du travail. De temps en temps, nous tombons sur une histoire d'amour, l'éternelle histoire d'amour qui permet de critiquer la situation de travail.

À partir de là, tu appliques un processus radical de déconstruction texte-chanson : les titres sont déclinés sur la vitrine d'une laverie, et les textes sont ré-enregistrés, juste lus et non chantés, sur une collection indépendante de Compact Discs. Que cherches-tu à produire entre l'original et ces nouvelles versions ?

Dans les laveries automatiques, j'applique sur la vitrine un adhésif faisant la promotion des CD par la désignation écrite des titres des chansons. Le Project Room autorise de façon plus adaptée la diffusion des CD. Lorsqu'ils sont exposés, les CD se répartissent au mur sous la forme d'une compilation disséquée en 17 boîtiers. Chacun porte un numéro en guise de jaquette. Ils sont alignés au mur à rebours, de 17 à 01. Et au bout de la tringle métallique qui les supporte, il y a un petit lecteur et un casque permettant la consultation : on pourra les écouter et éventuellement les acquérir. C'est tout simplement le texte, un texte "dit", dans les délais de l'écoute. La personne que j'ai enregistrée disposait d'un casque d'écoute et me disait de façon très plate (sans aucune théatralisation) ce qu'elle entendait de ces chansons. Une réception décontextualisée d'un texte "engagé", conçu pour la danse. Sans doute, elle écrase le texte.

Je le voulais le plus neutre possible en le faisant "dire" dans la langue originale. Et dans un second temps d'enregistrement, le texte est traduit en français (toujours simultanément à l'écoute). Cette rupture produit un retour sur ce que peut véhiculer "du sens" et sa réception que l'on pourrait faire dans l'immédiateté de l'écoute (la difficulté d'entendre et de restituer dans l'instant présent). Cependant, une chose est certaine : le spectateur-auditeur, avec son casque, est lui-même à l'écoute d'une auditrice tentant de restituer oralement ce qu'elle entend. Puis elle attend que la musique s'arrête, pour reprendre un refrain qui semble s'éterniser, comme le remplissage interminable d'une plage sonore.