En Attendant le dépannage
En Attendant le dépannage
Par Manon Lefort
Texte produit à l'occasion de l'exposition En attendant le dépannage, Galerie Tator, Lyon, 2012
C’est en amateur qu’Émilien Adage s’intéresse et expérimente l’électricité. Phénomène physique exigeant, potentiellement dangereux, l’étude et l’utilisation de l’électricité requiert en effet compétences et rigueur. Pourtant Émilien Adage ne dispose d’aucune formation ni diplôme. L’artiste défait, assemble, teste tous systèmes électriques qui lui tomberaient sous la main. Bricoleur compulsif, il expérimente l’électricité au hasard de ses envies, sans stratégie déterminée, à la recherche de l’accident, de l’étincelle inutile et absurde. Amateur donc, mais ici le terme doit être compris dans son sens premier, celui d’un intérêt presque amoureux pour le phénomène physique. Dès lors la passion se manifeste autant par la maltraitance de l’objet de son affection que dans sa conservation, prenant la forme d’un archivage systématique des différents dérivés de l’électricité : ampoules transformées, néons usagés ou autres curiosités de disfonctionnement électrique. Ainsi, c’est dans sa collection de manuels de bricolage amateur qu’Émilien Adage a trouvé le titre de l’exposition. « En attendant le dépannage » évoque le moment où, face à une situation dans laquelle la connaissance et la pratique nous échappent, il est alors possible d’expérimenter autrement. Il n’est pas étonnant que l’artiste ait été frappé par cette formule, tant la recherche de l’instabilité et de la perturbation du quotidien semble parcourir l’œuvre d’Émilien Adage.
Le phénomène électrique (et son application plastique) soulève la question de sa représentation et de sa perception. Caractérisée par son immatérialité – en effet, comment représenter physiquement le courant ? –, l’électricité est finalement devenue un symbole iconique dans l’imaginaire collectif : celui de l’ampoule par exemple, provoquant une confusion entre la lumière et l’électricité. Cette dernière présente la particularité d’être aussi mal connue que commune tant son utilisation quotidienne fait partie intégrante de notre vie. C’est dans cette brèche que se glisse Émilien Adage. En modifiant ou réagençant des composants électriques, l’artiste rend concret l’imperceptible. Ainsi l’œuvre Mutation propose un assemblage hybride d’un néon et de deux ampoules éclairant l’espace de manière irrégulière et permettant au spectateur de prendre conscience de sa propre perception. Cette exploitation de la phénoménologie de la lumière se retrouve dans #11, vidéo regroupant différents tests plus ou moins concluants effectués par l’artiste : ampoules clignotantes, courts-circuits ou encore explosions. L’artiste se fait tour à tour scientifique, électricien, ingénieur et collectionneur, mais ses recherches expérimentales se font toujours sous l’aune de l’intuition et du hasard.
Observateur du grain de sable qui permettra la minuscule étincelle, ce que l’artiste nous donne à voir n’est pas de l’ordre du spectaculaire mais plutôt de l’infime, voire de l’insignifiant. L’électricité y est utilisée à la manière d’un organisme vivant dont l’étude devrait démontrer la multiplicité de ses possibilités et de ses limites. La série de dessins Savoir bricoler chez soi propose au bricoleur du dimanche un panel de « variations douteuses [et plus ou moins dangereuses] sur le confort familial ». L’ampoule s’y branche désormais par deux prises sur secteur, ampoule qu’il est d’ailleurs fortement conseillé de briser avec un marteau afin de mieux ressentir les effets du courant. De même, la sculpture Batterie domestique, composée d’un bloc de 154 piles LR6 de 1,5V rassemblées et connectées à une prise électrique femelle de 230 Volts, est une tentative hybride de produire un courant individuel et portatif. Enfin, l’exposition débute et se conclue sur les vestiges de quatre performances réunies sous le titre Micropyrotechnie, présentées à l’occasion de l’événement Miniflux durant quatre soirées du 8 au 11 décembre à heure fixe. Le passant et le visiteur sont invités à contempler depuis la rue une « représentation lumineuse miniature » se déroulant à l’intérieur de la galerie et dont la durée est de l’ordre d’une minute. À la manière d’un Buckminster Fuller qui aurait ajouté la catégorie électricien à ses multiples talents, l’artiste applique la célèbre formule more-with-lessing, ou comment produire un effet maximum avec un minimum de dispositifs. L’enjeu du travail d’Émilien Adage se retrouve finalement dans ces feux d’artifice à échelle réduite, jeu constant de pas de côté où le dérisoire bascule vers le fascinant.