Texts
Statement
2021
Statement
2021
Texte de Laurence Lochu
Publié dans le catalogue du Mois européen de la photographie, Éditions Paul di Felice et Pierre Stiwer, Luxembourg, 2021
Texte de Laurence Lochu
Publié dans le catalogue du Mois européen de la photographie, Éditions Paul di Felice et Pierre Stiwer, Luxembourg, 2021
Marine Lanier, photographe au bord du réel
Par Luc Desbenoit, Télérama, n°3657, février 2020
Marine Lanier, photographe au bord du réel
Par Luc Desbenoit, Télérama, n°3657, février 2020
Entretien avec Marine Lanier
Festival Les Boutographies, Pavillon Populaire, Montpellier, 2014 (extrait)
Entretien avec Marine Lanier
Festival Les Boutographies, Pavillon Populaire, Montpellier, 2014 (extrait)
Des échos
Par Nina Ferrer-Gleize, 2013
Revue Utopia, Guide Culturel Rhône-Alpes, 2014
Des échos
Par Nina Ferrer-Gleize, 2013
Revue Utopia, Guide Culturel Rhône-Alpes, 2014
[...] En littérature, on appelle synecdoque la figure de style qui consiste à désigner un ensemble par des éléments qui le constituent. Les titres des photographies de Marine Lanier sont des synecdoques ; ils s'attachent à la partie pour le tout, au détail pour l'ensemble.
Marine Lanier tient beaucoup au mot « close up » pour décrire sa démarche photographique et ses choix de cadrages. Elle travaille essentiellement en plan resserré, et cherche toujours à aller au plus près de ce qu'elle photographie. Paradoxalement, elle travaille avec une chambre photographique, imposant appareil qui par sa raideur et son poids impose une certaine distance d'avec le sujet. Avec sa chambre, elle se rend dans la nature, dans les grands espaces. Il semble que la démarche de Marine Lanier passe sans cesse du détail vers l'ensemble, de l'ensemble vers le détail. Ici, démarche n'est pas à entendre seulement pour désigner une approche de travail ; il s'agit bien aussi d'un mouvement du corps et de l'appareil photo qui l'accompagne, se penche et se relève, s'approche et se recule.
Le gros plan est largement utilisé dans les débuts du cinéma, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Les films étant muets, mutiques, on privilégie l'émotion véhiculée par les objets, ou les corps transformés en objets par leur isolation d'un contexte. Le gros plan est le cadrage le plus admiré par les spectateurs à l'œil neuf des premiers films muets : il propose une échelle du regard inédite, il a le pouvoir de transformer, de transfigurer ce qu'on voit. « Le cinéma peut devenir le gigantesque microscope des choses jamais vues et jamais ressenties. [...] Je soutiens qu'une planche qui bouge lentement en gros plan est plus émouvante que la projection en proportions réelles d'un personnage qui la fait mouvoir » 1, écrit Fernand Léger en 1925.
Les images en close up de Marine Lanier procèdent de cette même échelle du regard, qui transforme l'œil en microscope et isole des parties du paysage ou des hommes pour les faire raconter autre chose. Se rapprochant, les images prennent de l'ampleur.
Parlant de l'écrivain Thomas Browne, W.G. Sebald écrit : « [Il tentera] sans cesse, procédant par la pensée et par l'écriture, de contempler l'existence terrestre, les choses les plus proches de lui comme les sphères de l'univers, du point de vue de quelqu'un d'extérieur (...). Et pour atteindre le degré d'élévation que cela nécessitait, il n'avait d'autre moyen que de voler à haute altitude, dangereusement, sur les ailes de la langue. (...) La vue devient plus claire à mesure que l'éloignement augmente. Les plus petits détails vous apparaissent avec une étonnante précision. C'est comme si l'on avait l'œil à la fois collé à une longue vue retournée et à un microscope 2. »
Il s'agit ici du mouvement inverse, de s'éloigner pour voir plus près, mais il semble que cela soit la même chose que de se rapprocher pour voir plus loin ; dans les deux cas, il s'agit de prendre simultanément deux directions opposées, et, l'œil face au dépoli, de pouvoir contempler tout à la fois les constellations les plus éloignées, et les minuscules reliefs des lichens les plus proches. L'image ainsi, condense ces deux extrêmes. Isolant une partie, un détail, elle le transforme en paysage, en quasi-abstraction qui bouleverse notre perception de l'échelle, et nous renvoie à de plus grands espaces.
Si l'on peut parler de close-up pour les images, et de synecdoques pour les titres, on peut, comme l'on peut inverser le très près et le très loin, dire que les images sont des synecdoques, en ce sens qu'elles s'attachent, elles aussi, à désigner une partie pour le tout. Les titres alors, sont des close-up, des gros plans sur un détail de l'image.
Là réside la complexité du travail de Marine Lanier : c'est une approche tout à la fois littéraire et picturale, non pas en parallèle mais plutôt sur des lignes qui s'entrecroisent et s'intervertissent. Marine Lanier est auteur de photographies et de titres.
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[...] Empreinte, Suie, Crâne. Ces mots appartiennent au langage archéologique, à l'étude l'humain dans ses traces, dans ce qu'il laisse après avoir disparu. De la poussière et des os. Avec ses titres, Marine Lanier fait du vivant – humain comme nature – un sujet d'étude. Rien de cynique ni de morbide ; plutôt un travail de conservation et de préservation des traces de tout ce qui est organique, de tout ce qui respire. Un inventaire. La photographie d'une main tachée de lie de vin s'appelle Fossile. Marine Lanier exhume ce qui n'est pas sous terre. Elle scrute et désigne ce qui était là comme manifestation d'un monde toujours vibrant et toujours avançant.
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[...] Marine Lanier vit et travaille dans une région dont elle est originaire et qu'elle connaît bien. Ses photographies sont ancrées dans ce territoire et dans ce sol-là, et c'est ainsi qu'ils peuvent en partir et évoquer d'autres espaces, l'Ouest américain, l'océan Atlantique ou la Grèce Antique.
Le lieu de la prise de la vue est toujours précisé dans les titres des images. Ses photographies de lichens, de mousse, de bois calciné et de brasiers évoquent une nature sauvage et primitive, intemporelle. Les quelques hommes qui surgissent de temps à autres sont des êtres-animaux, des bêtes, au corps épais et à l'odeur âcre. Ils sont comme des arbres ; de l'écorce et des racines. Ils sont beaux comme la nature est belle : c'est-à-dire coriace, indépendante et vibrante.
Le cadre resserré, le titre s'attachant à un détail, le lieu spécifié : tout tend vers une extrême précision, faisant de chaque photographie quelque chose d'exhaustif, d'entier. Pourtant, en même temps que ces indications précisent, elles nous éloignent. Elles déplacent l'attention. Comme il y avait tout à l'heure un déplacement de la figure de style littéraire au cadrage photographique, faisant qu'on lisait une image et qu'on scrutait un titre, il y a ici un déplacement de l'attention de celui qui regarde. Les titres, les indications de lieux, de dates, renvoie l'image à sa propre abstraction ; elle ne prouve rien de ce qu'elle est supposée « montrer ». Lorsqu'on lit « Drôme, 2008 », la photographie était partie bien ailleurs dans notre tête, sur une île de la Méditerranée, au début du siècle dernier. Ce qui dans notre œil est une image de la Terre vue d'en haut, avec les mers et les continent, porte le nom Lichen. Les images s'émancipent de leurs titres, se décalent. [...]
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À chacune des séries de photographies, Marine Lanier associe un texte littéraire. Plus qu'un accompagnement ou qu'une citation, ce texte est à chaque fois comme une autre image qui viendrait s'ajouter à la série. On ne sait si c'est le texte qui a suscité les images, ou si ce sont les images qui ont conduit au texte. Ce qu'on devine, c'est qu'il y a derrière ces rapprochements, ces frottements de la littérature avec la photographie, une intention de lectrice.
Les extraits que Marine Lanier choisit et place dans ses séries photographiques sont empruntés à Joseph Conrad, Jack London, Blaise Cendrars, Calamity Jane, mais aussi Gilles Deleuze, Virginia Woolf ou Denis Diderot. Ce sont des mots qu'on lit, mais ce sont des images qu'on voit. Des paysages amples, des chevaux lancés au grand galop dans de poussiéreux déserts, des craquements et des souffles de bêtes. Il y est question de survie et d'extrême, de monstres marins, de glace, de forêt, de guerre. Souvent, ce sont des histoires lointaines. Des auteurs datés dans des lieux éloignés, ramenés au plus près, ici, dans un morceau de buisson vert sombre de la Drôme. Marine Lanier parle de « césure ». Césure géographique, césure temporelle. Encore une fois, c'est un déplacement : déplacement des mots vers l'image, déplacement d'un récit qui se passe en pleine mer, dans le Far West ou en Alaska, dans les paysages drômois ou arméniens. Surtout, par cette césure, c'est une confusion qui est provoquée : tout comme un gros plan nous laisse libre d'imaginer le hors-champ, l'association d'un texte à une série photographique brouille l'époque et le lieu de la prise de vue, brouille la lecture qu'on fait d'une image. Elle élargit l'espace dans lequel on la situe.
Plus qu'une association de la littérature et de la photographie, Marine Lanier met en évidence l'évidente porosité qui existe entre le deux ; elles se frottent et se ressemblent.
Touchant à la littérature, les photographies touchent à la fiction, et touchant aux lieux et aux temps, elles touchent aussi à l'Histoire et à la Géographie. Les photographies condensent et font circuler ces notions.
[...] L'impression de conquête du paysage est présent dans les photographies de Marine Lanier : de part le rattachement à la fiction, mais également à la précision avec lequel les lieux sont observés, témoignant d'une certaine connaissance géographique et historique, de l'espace. [...]
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Le travail de Marine Lanier réside donc dans les interstices créés par les déplacements et les césures. Déplacement du titre vers l'image, du détail vers l'ensemble, de la littérature vers le photographique, d'une époque vers une autre, d'un espace vers un autre. Ces mouvements forment des espaces intermédiaires, innommables et secrets, dans lesquels celui qui regarde – celui qui lit – peut se glisser pour s'approprier l'image. C'est sa place, son point de vue pour pouvoir projeter ce qu'il veut. C'est là que naissent les histoires. Ce sont des portes.
Les déplacements permettent les résonances : elles permettent de nous faire sentinelle et de nous placer à un poste d'observation où l'on peut avoir la vue la plus large. Où l'on peut regarder de façon aiguisée, contempler les ensembles faits de détails, de séries, de textes et d'images. C'est dans ces espaces que les échos se font ; qu'on envoie les choses au plus loin et qu'elles nous reviennent réverbérées, multipliées, associées à d'autres.
C'est à cet endroit aussi que se place Marine Lanier : avec sa chambre, elle assemble et contemple, s'éloigne et se rapproche. Elle écoute et voit. C'est à cet endroit qu'ensuite elle regarde ses images, les étudie, et les compose. De là naissent les séries, images associées qui dialoguent entre elles.
Ce travail de la série fait que des photographies peuvent appartenir à plusieurs ensembles, et qu'ainsi elles résonneront différemment. A la manière d'un atlas ou d'un inventaire, Marine Lanier rassemble des images qu'elle déplace – là encore – pour raconter. Entre les séries aussi, quelque chose continue de résonner. [...]
Le travail de Marine Lanier est un ensemble fait d'images et de textes, de sensations et de couleurs. L'ensemble se déploie et se replie, s'inverse. Chaque partie résonne sans cesse avec une autre. [...]
Texte de Pascal Thévenet
Pour l'exposition Il ne sentait pas le vin, il sentait la boue, la lie des cuves, Commande de la conservation départementale du patrimoine de la Drôme, Château de Suze-la-Rousse, 2010
Texte de Pascal Thévenet
Pour l'exposition Il ne sentait pas le vin, il sentait la boue, la lie des cuves, Commande de la conservation départementale du patrimoine de la Drôme, Château de Suze-la-Rousse, 2010
Texte de Jean-Christophe Bailly
Revue Inframince n°4, Editions Actes Sud, Arles, 2008 (extrait)
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