Vir Andres Hera
Updated — 01/06/2024

FR DISPARITION D'UNE LANGUE

FR DISPARITION D'UNE LANGUE, texte d'Anna-Katharina Scheidegger

Au bord de la mer, un personnage vu de dos. Une voix. Un sous-titre. Le spectateur s'installe, avec ses repères, se prépare à une histoire, nostalgique probablement, une histoire teintée d'un manque, d'un voyage. Toujours un point de fuite très défini dans chaque plan, l'horizon qu'on désire atteindre ? L'horizon de l'origine du personnage ?

Mais comme chaque fois, quand on se repère à travers des codes iconographiques ou cinématographiques, Vir Andres Hera nous enlève cette certitude. Le personnage, une jeune femme, à laquelle on a attribué la voix, est-elle vraiment celle qui parle, qui pense ces paroles, dans une langue qui n'existe qu'à l'oral ? Et les sous-titres qu'on accepte comme une certitude comme une traduction au plus juste que possible, sont-ils vraiment le déchiffrage de la voix-off ?

Une phrase longue, comme un petit chant mélodieux, se traduit à l'écran avec un seul mot :
« non ».

Les plans sont soudainement inversés, la jeune fille marche en arrière, avec un pas sûr, dans un terrain aride. On se doute du trucage au montage : et la voix-off — ou au moins les sous-titrages — nous explique exactement ce phénomène qu'on était — comme spectateur — un peu fier d'avoir découvert et décodé. Et dès qu'on a intégré cette marche en arrière dans notre compréhension de l'histoire (peut-être dans une sorte de retour aux origines), l'artiste nous surprend avec des séquences non-inversées. La fille court. Comme si elle voulait s'échapper d'un jugement systématisé, d'une interprétation trop facile.

Et alors cette histoire qu'on a lue à l'écran ? Est-elle vraie ? Est-ce que cette langue, que l'artiste essaie de préserver et qu'il tente d'écrire, avant qu'elle tombe dans l'oubli, est-ce qu'elle existe vraiment ? Ce qui est sûr, c'est que l'artiste Vir Andres Hera nous a interrogé pendant la durée de la vidéo sur notre perception et nos codes envers les images, les sons et la construction d'une histoire. Il nous a troublé en enlevant des clés qu'on a pris comme repères et nous ramène finalement à nous-mêmes : pour écouter notre langue à nous plus attentifs, avant qu'elle disparaisse sous des clichés qui nous surplombent.

© Adagp, Paris