Damir Radović
Updated — 17/06/2024

Texts

STATEMENT

By Damir Radovic

Interview with Pascal Thevenet

For the exhibition 28 juin après : Don't shoot, I'm a phantom, Bourse du Travail, Valence, 2022

Entrefaites

Par Xavier Jullien
Pour l'exposition Entrefaites, Centre d'art Madeleine Lambert, Vénissieux, 2017

Le centre d'art présente Entrefaites : une exposition de Damir Radović, pensée en lien avec l’histoire de Vénissieux et qui s’étend à l’extérieur dans l’espace public avec une œuvre composée de bannières aux messages énigmatiques.

No more… (Plus jamais…)
L’artiste a débuté cette série de bannières il y a plusieurs années à Hiroshima. Durant son séjour, il regarde le film d’Alain Resnais Hiroshima mon amour (1959) et y remarque une banderole qui porte le message No More Hiroshima, qui peut être interprétée de deux façons. Comme un plaidoyer contre l’arme nucléaire, ou comme un déchirant constat : le 6 août 1945, Hiroshima n’est plus. Les bannières de Damir Radović sont toujours en cours d’écriture et reposent sur la multiplicité du sens. Elles sont comme un long poème, une litanie sans début ni fin, dont chaque vers commence identiquement par « No More… ». Elles se déclinent sur des tonalités très diverses, avec parfois des résonances douloureuses ou personnelles (No More Sarajevo, No More You & Me) ou revendicatives (comme des slogans à scander dans une manifestation : No More Biennale, No More Excuses). L’absurdité surréaliste de certaines autres (No More Disco), rencontre aussi la culture militante des situationnistes avec des messages sibyllins tels que No More Dream. Avec l’humour noir qui transparaît souvent dans son travail, l’artiste ne s’est pas oublié avec la bannière No More Damir.
L’écriture est omniprésente dans le travail de Damir Radović, et elle envahit d’ailleurs spontanément ses dessins dans plusieurs langues et se décline aussi en néon. L’artiste joue sur la polysémie et brouille les pistes pour le visiteur, qui reste dans le flou sur l’identité et les motivations de l’émetteur : qui parle, qui écrit ?

La chute des étoiles filantes
À l’intérieur, de l’autre côté des fenêtres de l’Espace arts plastiques, sont alignés des traits de cuivre se terminant au sol par des étoiles scintillantes. Ces Burning Stars (des étoiles qui se consument : des étoiles filantes), sont des allégories. Ce pourrait être les trajectoires lumineuses, brûlantes et incontrôlées que la vie réserve parfois. Dans le ciel, les étoiles nous apparaissent dans leur fragile éloignement, leur persistance et leur solitude, elles sont le support de notre imagination ou de nos croyances. Elles orientent, cristallisent notre pensée, ravivent notre sentiment d’être au monde, et aussi celui de notre finitude. Les étoiles en néon sont très présentes dans les œuvres de Damir Radović, parfois rouges – et leur symbolique historique nous parait évidente – parfois blanches et ressemblantes à d’éphémères flocons de neige tombés au sol.
Avec les formes en plexiglas qui les relient au mur et en saturant l’exposition de couleurs, l’artiste affirme aussi un penchant pour le pop. Cela est renforcé par la présence des néons au plafond qui rappellent les enseignes de ce type (aujourd’hui disparues) et qui résonnent étrangement avec les voitures américaines des années 1950, réparées et entretenues jusqu’à aujourd’hui avec beaucoup de savoir-faire et d’ingéniosité par les mécaniciens cubains.

Paradoxical Sleep (sommeil paradoxal)
Un large mur de l’exposition s’ouvre sur une perspective urbaine à la Havane. Damir Radović est couché au sol au premier plan, dans un sac de couchage et bonnet de nuit sur la tête. Cette image est le témoignage d’une performance menée par l’artiste dans plusieurs villes du monde, intitulée Paradoxical Sleep. L’action est la même à chaque fois : dans un lieu consciencieusement choisi, il se change, installe son couchage et s’y glisse pour dormir quelques minutes. Les réactions des passants ne manquent généralement pas de survenir mais varient, d’un lieu à l’autre, ce qui permet une observation expérimentale et souvent décalée des différences culturelles.

Born in Neverland (Né au pays de nulle part)
Reprenant le toponyme de Neverland – le Pays imaginaire où vit Peter Pan, éternellement jeune et candide – cette œuvre est composée de trois drapeaux blancs. Comme si les couleurs des nations avaient déserté l’Histoire. Sur le pourtour, on peut lire des messages aux résonances poétiques et philosophiques. Intitulée La vie est un conte de fée, l’installation comporte aussi une médaille à l’effigie de Bruce Lee (héros à l’Ouest comme à l’Est), des couverts (typiques des années 70 à l’Est) et un pavé désenchâssé dont on voit l’envers. La référence à Neverland peut être interprétée comme une évocation de la disparition de la Yougoslavie, ce pays qui n’existe plus, dans lequel l’artiste a grandi et qu’il a dû quitter.

Entrefaites
Le titre de l’exposition, Entrefaites, est un terme un peu désuet qui exprime bien l’idée de simultanéité d’actions dans un contexte évolutif. Les superpositions infinies de surfaces, la profusion des couleurs et des motifs, l’abondance maniaque des textes et des dessins de Damir Radović forment un labyrinthe pour l’œil. On y trouve de très nombreuses références culturelles, savantes ou au contraire triviales, et des citations qui se rapportent à Vénissieux et à son histoire (comme le quartier Démocratie ou la campagne de publicité pour l’ouverture du magasin Carrefour en 1966). Dessinés à plat et au sol, ces grands formats réservent le blanc de la feuille et s’agencent autour de formes géométriques de couleurs, qui ressemblent aux immeubles des grands ensembles vus de dessus. Ces aplats servent à leur tour de fond et accueillent de plus petits dessins, des collages et des écritures, jouant avec l’échelle et le remplissage. À l’image du tableau participatif et Dada de Francis Picabia, L’œil cacodylate (1921), où l’artiste invitait ses visiteurs à laisser une trace de leur passage sous la forme de graffiti plus ou moins décalés ou impertinents. En écrivant des messages qui peuvent parfois mettre mal à l’aise ou provoquer notre indignation, Damir Radović tend simplement dans plusieurs directions un miroir sur le monde et attire notre attention sur des blessures, qu’il faudrait panser au plus vite.

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Pour l'exposition Rétrospectivement agile, Espace Vallès, Saint-Martin d'Hères, 2013

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